Par Matthieu Niango, membre d’A nous la démocratie !

Il y a, dans le 11e arrondissement de Paris, une rue portant le nom d’un célèbre otage de la Commune, exécuté le 24 mai 1871, l’archevêque Georges Darboy. Les armées versaillaises massacraient à tout va depuis trois jours. On fusillait des insurgés dans l’église Saint-Joseph, que la rue Darboy longe—confrontation d’une ironie cruelle. Un vrai carnage, ordonné par ceux qui s’appelaient eux-mêmes les « honnêtes gens ». Dans cette église, derrière l’abside, parmi les corps amoncelés dont rien ne rappelle le souvenir, il y avait sans doute quelques-uns de ceux qui, membres du 137e bataillon de la garde nationale, ouvriers, artisans, petits commerçants, bourgeois aussi, épris d’égalité, criaient « à bas la peine de mort ! » en brûlant deux guillotines place Voltaire, non loin de là, quelques semaines auparavant.

Je me suis d’abord agacé de l’argument de la peine de mort, brandi par des dirigeants politiques contre le référendum d’initiative citoyenne (RIC). Je le jugeais de mauvaise foi : en 2019, est-ce la priorité des Français que de pouvoir légalement tuer leur prochain ? Mais des amis m’ont fait sincèrement part de cette crainte aussi, vite balayée par la discussion, mais tout de même, l’argument valait examen. En me penchant dessus, j’ai trouvé cet argument instructif quant à la manière dont certains membres des classes dirigeantes—responsables politiques, journalistes, intellectuels— en viennent à percevoir leurs concitoyens quand ils laissent libre cours à leurs préjugés. Car je suis convaincu de ceci : l’idée que les « classes éclairées » seraient un barrage contre la peine de mort ne repose sur rien. Nous ne savons pas ce qu’auraient fait les Français si on leur avait laissé décider directement de l’abolition. Au regard de l’Histoire, on ne peut pas non plus affirmer que les politiques n’ont reconduit cette peine année après année qu’en cédant aux pressions de l’opinion.

Ecoutons Robert Badinter et son discours du 17 septembre 1981, retraçant les grandes étapes historiques de l’abolition, qui sera votée par l’Assemblée Nationale (367 voix pour, 117 voix contre) et le Sénat, à une plus courte majorité, de 160 voix contre 126 : on y constate qu’elle ne fut débattue qu’entre notables ou presque. Elle l’est d’abord le 30 mai 1791, à l’Assemblée Constituante, où Le Peletier et Robespierre la demandent, les cahiers des doléances de Semur-en-Auxois ayant d’ailleurs réclamé la limitation de son application. L’Assemblée refuse l’abolition par une loi du 6 octobre de la même année, tout en adoucissant le mode d’exécution : désormais « tout condamné à mort aura la tête tranchée ». Quatre ans plus tard, la Convention promet l’abolition une fois que la paix sera revenue. Mais Napoléon en réaffirme le principe dans le code pénal impérial le 12 février 1810. Nouvelle suppression en février 1848, après deux décennies de débats sur le sujet, Victor Hugo prenant le parti de l’abolition. Nouvelle réintroduction en juin de la même année.

Au XXe siècle, par deux fois, le débat sur le sujet fait rage. La première dans les années 1906-1908. L’opinion s’en mêle, majoritairement opposée à l’abolition. L’autre durera une décennie où le camp de l’abolition s’organisera : le PCF l’inscrit dans son programme dès 1971, l’Eglise catholique se prononce pour elle en 1978, Badinter en fait le combat de sa vie. En face, seule l’extrême-droite s’y oppose de façon structurée, comme elle continue de le faire aujourd’hui, avec une bien moindre force. Mais, dans les deux cas, vit-on d’un côté les classes éclairées, et, de l’autre, la masse attachée à la loi du talion ? Pas du tout. Les partisans de l’abolition, issus de toutes les classes sociales, comme le rappelle Badinter, ont plutôt eu affaire à une opinion fluctuante sur le sujet, et traversant, elle aussi, toutes les couches du pays. Entre 1906 et 1913, le président Armand Fallières, ouvertement hostile à la peine de mort, graciait tous les condamnés. L’opinion fut même, elle aussi, favorable à son abolition jusqu’à ce qu’un crime atroce la fasse changer d’avis. Fallières gracia le condamné, malgré la pression, notamment des journaux pro peine de mort : le 20 octobre 1907, Le Petit Parisien fulminait contre les bandes de voyous d’alors qu’il qualifiait d’«armée encouragée au mal par la faiblesse des lois répressives et l’indulgence inouïe des tribunaux ». Fallières n’en resta pas moins très populaire jusqu’à la fin de son mandat. En 1908, un projet de loi pour l’abolition, porté avec force par Jaurès, fut certes repoussé par 330 voix contre 201. Mais le gouvernement dirigé par un Clemenceau farouchement opposé à la peine de mort, ne sauta pas pour autant, restant aux responsabilités jusqu’à juin de l’année suivante—et Clemenceau devenant, comme on sait, l’un des héros de la guerre de 1914-1918.

Quant à l’observation de la décennie précédant l’abolition, elle permet de mesurer toute l’ambiguïté de la classe dirigeante vis-à-vis de la peine de mort, en même temps qu’elle renforce le doute quant à l’attachement prétendu de tous les autres à celle-ci, et d’abord des classes populaires. En privé, Valéry Giscard d’Estaing, dit Badinter dans son discours, évoquait fréquemment son aversion pour la guillotine. Pourtant, il refusa de mettre l’abolition à l’ordre du jour, pour laquelle, prétendait-il, l’opinion n’était pas prête. Cédait-il réellement à la pression populaire ? Bizarre, pour quelqu’un qui, en 1974, n’hésita pas à autoriser l’avortement, dont la majorité des Français ne voulaient pas, tandis que l’opinion sur la peine de mort était, en ces temps où l’élan libertaire de mai 68 n’était pas encore éteint, bien plus fluctuante, passant, certes, de 39% en 1969 à 56% en 1976, mais simplement à la faveur d’une dégradation du climat sécuritaire. Bizarre, quand on sait qu’aucune personnalité politique s’étant opposée à la peine de mort n’a été sanctionnée électoralement pour cette seule raison. Et pourquoi avoir, par trois fois, refusé de gracier des condamnés à mort, pour des raisons énigmatiques ? Au fond, Giscard était-il si opposé que ça à la peine de mort ? Une interview récente invite à en douter sérieusement. Après tout, peu avant, De Gaulle était, lui, clairement pour la peine de mort, et même, il l’était par conviction. Enfin, si les politiciens écoutaient l’opinion, cela se saurait : prendraient-ils alors tant de décisions contraires à la volonté populaire, comme celles qui renforcent les inégalités, menacent notre santé, ou dégradent la nature et menacent les conditions de vie de certains d’entre nous ? Ayant pour président Emmanuel Macron, nous savons nous, mieux que quiconque, que les hommes politiques se moquent pas mal de l’opinion quand elle ne les arrange pas, et s’en réclament quand elle va, ou semble aller, dans leur sens.

De même, on souligne à l’envi le courage du candidat Mitterrand ayant affirmé, dans l’émission Cartes sur table du 16 mars 1981, qu’il abolirait la peine de mort s’il était élu. Dans son discours, Badinter lui-même relativise a posteriori ce courage, en rappelant que les Français n’étaient pas opposés à l’abolition au point de ne pas voter pour le candidat qui la défendait—tout en exagérant, selon moi, en avançant que leur suffrage valait blanc-seing en toute matière exposée dans le programme… Là encore, nous avons l’habitude de ce type de raccourcis… Mais ce que l’on ignore souvent, c’est que Jacques Chirac également s’était prononcé contre cette peine, quelques jours après son adversaire, le 24 mars. L’aurait-il fait s’il savait l’opinion incapable de voter pour un candidat abolitionniste ? De fait, et Badinter le rappelle dans son discours, l’opinion était, alors, bien moins tranchée sur la question qu’on ne le laissait croire—comme le démontre aussi, encore une fois, le fait qu’aucun candidat à quoi que ce soit n’ait été sanctionné pour son seul soutien, annoncé ou effectif, à l’abolition de la peine de mort.

Dans une formulation prudente, on dira que l’histoire ne nous apprend rien de probant sur ce qu’auraient fait les Français s’ils avaient eu à se prononcer directement sur l’abolition. En tout cas, nous n’avons aucune raison d’opposer, sur ce sujet, une classe cultivée, humaniste, abolitionniste, celle qui est au pouvoir, à la foule de toutes les autres.

Arguera-t-on alors de l’attitude des jurés d’assises jusqu’à l’abolition pour soutenir que l’élite seule est foncièrement abolitionniste ? Pourquoi le peuple a-t-il prononcé tant de fois la mort, depuis la création du jury d’Assises en 1791, si ce n’est qu’il est naturellement enclin à la donner ? Cet échantillon de la société qu’est le jury populaire ne prouve-t-il pas que la population française dans son ensemble est favorable à la peine de mort ? Non, car la loi qui introduit le tirage au sort pour la composition des jurys ne date que du 29 juillet 1978, et ne sera appliquée qu’à partir de 1980. Avant cela, les jurés étaient désignés par un collège d’élus locaux et de magistrats. Ces jurés étaient peu représentatifs de la population, comme le note l’exposé des motifs du projet de loi de 1978 portant la réforme : « le système du choix à l’échelon des mairies n’obéit à aucune règle précise et le résultat des désignations est peu satisfaisant. L’âge moyen des personnes retenues est en général élevé, les femmes ainsi que certaines catégories socio-professionnelles sont manifestement sous-représentées ». Le collège d’élus et de magistrats opéraient ainsi un choix « quasi discrétionnaire », pour citer le législateur de 1978. Comme le montre Louis Gruel, dans Pardons et châtiments, ce choix aboutissait à des jurys de notables. Mais n’accablons pas trop ceux-ci : ils n’ont pratiquement jamais prononcé la mort sans que celle-ci soit d’abord requise par le ministère public. Ainsi, note Gruel, de 1968 à 1978, le procureur général a demandé la mort quinze fois par an en moyenne et le jury n’a suivi ces réquisitions que trois ou quatre fois par an sur la même période. Par ailleurs, c’est un tel jury qui, en 1977, a été convaincu par Badinter, son avocat, de ne pas envoyer à l’échafaud le meurtrier Patrick Henry pour son crime abject, malgré les réquisitions du parquet. Un vrai tournant—bien que six condamnations à mort soient encore prononcées après cette date, et deux personnes exécutées.

Mais que se passe-t-il lorsque les jurys deviennent réellement populaires, en 1980 ? Alors les condamnations à mort pleuvent, c’est vrai. Mais écoutons Badinter nous rappeler combien l’opinion avait alors été intoxiquée par les médias globalement aux mains de l’Etat —leur libéralisation ne sera effective qu’en 1981—dans un contexte où l’on cherchait à faire voter la loi sécurité et liberté, durcissant l’arsenal répressif : « rien n’a été fait pendant les années écoulées pour éclairer cette opinion publique. Au contraire ! » Forts de l’expérience des pays abolitionnistes, on savait notamment à l’époque que l’effet prétendument dissuasif de la peine de mort, principal argument de ses tenants, n’était pas avéré.

Mais quel que soit le conditionnement de l’opinion en faveur de la répression, et donc de la peine de mort, reste que les sondages n’en indiquent pas moins une forte volatilité des avis sur la question, en fonction du contexte sécuritaire. En irait-il de même aujourd’hui ? Verrait-on proposé un RIC pour rétablir la peine de mort le lendemain d’un crime odieux ? De tels crimes ont malheureusement lieu et les Français ont déjà la possibilité de s’exprimer à grande échelle à leur propos. Allons sur la plateforme change.org et tapons « peine de mort » dans son moteur de recherche. Les pétitions qui en réclament le rétablissement en France sont rares et globalement peu signées, loin des centaines de milliers de signatures exigibles pour l’organisation d’un RIC. A l’inverse, celles qui s’opposent à ce qu’elle soit appliquée dans tel ou tel pays sont nombreuses et abondamment soutenues. On aura raison d’affirmer que tout le monde ne va pas sur ce genre de sites, qu’ils ne sont pas représentatifs de ce que veulent les Français. Mais on peut faire remarquer qu’une des pétitions à l’origine du mouvement des Gilets Jaunes a été lancée sur le site change.org par l’une des grandes figures du mouvement, Priscilla Ludosky, recueillant près d’1,2 millions de signatures. On admettra donc au moins que les gilets jaunes, à qui on attribue les pires intentions, y vont, quant à eux, mais pas pour signer en masse des tribunes en faveur de la peine de mort.

Par ailleurs, des sondages sont régulièrement organisés pour connaître l’avis de la population sur le sujet : depuis le début des années 2000, les Français s’y montrent chaque année opposés à la peine de mort, à l’exception notable de 2015, où, la France étant frappée par l’attentat de Charlie Hebdo, une courte majorité s’est dite favorable à la peine capitale, tendance inversée dès le mois de décembre, malgré les massacres de novembre à Paris. Il est donc faux de dire qu’avec un RIC on pourrait se réveiller un matin avec la peine de mort en France sous le coup d’une passion soudaine pour elle. Dans l’hypothèse où une pétition serait demandée en ce sens après un crime abominable, cette passion aurait très largement le temps de retomber entre ce dépôt et le vote—si, ce qui est peu probable, un nombre suffisant de signataires était réuni pour qu’il ait lieu.

Surtout, qu’en serait-il si les signataires de telles pétitions savaient que leur acte pourrait aboutir à l’adoption de la proposition qu’ils soutiennent ? Sans doute seraient-ils encore moins nombreux à prôner la peine de mort. De façon plus générale, un RIC n’a aucune raison de mener un pays à sa perte, si, et seulement si, tous les arguments sont exposés et débattus de bonne foi devant tout le monde. Dans ces conditions, l’expérience montre que la participation aux décisions politiques sans possibilité d’en retirer quelque chose pour soi-même—titre, salaire, domination sur ses semblables, comme c’est le cas pour les mandats dans notre République—sait tirer le meilleur des femmes et des hommes ordinaires. C’est ce que montre Jacques Testart en convoquant le cas des conventions de citoyens, qu’il a abondamment pratiquées. Et sans doute que le discours de Badinter, très suivi, a contribué à éclairer ses concitoyens sur le cas de la peine de mort. Ils étaient nombreux dans les travées ce jour-là—plus que dans l’hémicycle… De fait, aucune manifestation n’a fait suite à l’abolition pour s’y opposer, alors qu’elles étaient fréquentes, dans la décennie 70, pour la réclamer. Les Français ordinaires n’ont pas revendiqué le retour de la peine capitale à cor et à cri. Et François Mitterrand a été largement réélu en 1988, sans que la guillotine jette son ombre funeste sur la campagne présidentielle.

Mais il y a plus encore. Robert Badinter a raison de souligner les flambées de haine qu’un crime révoltant peut produire, avec pour conséquence la tentation du rétablissement de la peine capitale. Ce retour semble pourtant bien plus difficile à concrétiser dans les modalités hyper décentralisées que fournit le référendum d’initiative citoyenne plutôt que dans le cadre centralisé à l’extrême de notre République—que l’ancien garde des Sceaux qualifie lui-même de « monocratie ». De fait, l’hypothèse d’un tel retour n’a rien de fictif : des Parlementaires l’ont réclamé, à maintes reprises, de 1984 à 2004. Cette année-là, une cinquantaine d’élus UMP, parmi lesquels Lionnel Luca, Olivier Dassault ou Richard Dell’Agnola, déposaient une proposition de loi en demandant l’application pour les terroristes, proposition jamais mise à l’ordre du jour. Ainsi, en 2007, est-ce à l’opinion ou aux élus que Chirac voulait faire échapper l’abolition en l’inscrivant dans la Constitution ? Un tel retour serait le fait de démagogues, pour Badinter. On doute qu’ils puissent convaincre tout un peuple du bienfondé de la peine de mort. En revanche, ils pourraient mieux l’imposer par les voies légales actuelles, en dépit des traités internationaux l’interdisant, comme celui de 1985, dont le Président pourrait, après tout, faire sortir la France. Là encore, c’est une Garde des Sceaux qui le reconnait, Elisabeth Guigou, dans une interview où elle se réjouit du caractère irréversible de l’abolition du point de vue de l’opinion. Après avoir affirmé que le retour de la peine de mort était « impensable », elle ajoute « à moins d’une arrivée au pouvoir du FN ». Nous savons aujourd’hui que cette hypothèse ne relève pas de la pure science-fiction. De quoi disposerions-nous alors pour nous opposer à la peine de mort, si l’exécutif en exigeait le retour ? Du référendum d’initiative populaire, s’il existait.

Il s’agirait alors de se demander pourquoi, en dépit des faits, certains s’imaginent que si l’on donne à tous la possibilité de proposer des lois, le pays court davantage le risque du retour de la peine de mort qu’aujourd’hui. On ne peut ici qu’émettre des hypothèses. Or j’en vois une, à la fois très vraisemblable et très triste : celle du mépris. L’idée que certains d’entre nous, appartenant à l’élite sociale, voient dans les autres, malgré les faits et l’expérience, au fond, de potentielles bêtes féroces, à tenir loin du pouvoir. A la racine de ce mythe de l’Abolition, prétendument le fait d’une classe éclairée, on trouverait, selon cette hypothèse, l’arsenal argumentatif pour justifier la domination de quelques-uns, prétendus héritiers d’un humanisme conféré par une éducation supérieure, sur les autres privés de ces lumières. La vérité historique est toute autre : la plupart des politiques, des intellectuels, des journalistes, des procureurs, des notables composant jusqu’à 1978 les jurys d’assises, pour être cultivés, n’en demandaient pas moins de temps en temps la tête de leurs semblables, et pourraient, tout aussi bien que les autres, la demander encore demain—et même, plus facilement dans le cadre actuel que dans un autre comportant des contre-pouvoirs. Or le RIC est un contre-pouvoir. Faire de l’abolition le résultat d’un long combat des esprits éclairés contre la masse inculte participe ainsi d’une mythologie visant à justifier la domination politique des classes sociales supérieures.

Mais soyons bon joueur. Imaginons que des pétitionnaires rédigent une révision constitutionnelle portant rétablissement de la peine de mort. Imaginons qu’ils osent penser qu’on puisse vouloir à nouveau dresser des échafauds en France, former des bourreaux à cette fin (qui accepterait de le devenir en 2019 ?), trouver des jurés pour la prononcer. Imaginons que leur proposition atteigne le seuil fixé par la loi, disons 500 000 signataires, pour être soumise au vote de tous. Imaginons qu’il soit envisageable qu’elle passe, c’est-à-dire, puisqu’il s’agirait d’une modification constitutionnelle, qu’il soit vraisemblable qu’au moins 60% des inscrits veuillent le retour de la peine de mort—plus de 28 millions de Français, contre 20 millions qui se sont portés sur la candidature d’Emmanuel Macron aux dernières élections. Imaginons, même si ça fait beaucoup. Alors même, j’affirme que n’aurais pas, dans ce monde fictif, le commencement d’une raison à opposer contre le RIC. Je dis qu’il faudrait combattre le retour de la peine de mort par des arguments, et que, cela tombe bien, ils sont tous sur la table depuis longtemps. Il faudrait parler des familles des victimes, qui ne se sentent pas mieux quand l’assassin est mort, au contraire. Il faudrait citer ce passage du discours de Badinter, si quelqu’un osait invoquer le pouvoir dissuasif de la peine de mort : « je vous dirai pourquoi, plus qu’aucun autre, je puis affirmer qu’il n’y a pas dans la peine de mort de valeur dissuasive : sachez bien que, dans la foule qui, autour du palais de justice de Troyes, criait au passage de Buffet et de Bontems [deux meurtriers condamnés à la peine capitale] : « A mort Buffet ! A mort Bontems ! » se trouvait un jeune homme qui s’appelait Patrick Henry. Croyez-moi, à ma stupéfaction, quand je l’ai appris, j’ai compris ce que pouvait signifier, ce jour-là, la valeur dissuasive de la peine de mort ! » J’aurais beaucoup de choses à dire à mes contemporains, avec qui je n’ai pas peur de discuter. Surtout, je leur dirais que moi je crois en l’homme et en sa capacité d’amendement, que sans cette foi, la démocratie elle-même est impossible.

Cette foi en l’homme, Badinter aura contribué, comme d’autres avant lui, à la transcrire dans la loi. D’avoir appris, dans un récit qu’il a publié il y a peu, quelle avait été son enfance dans l’Europe hitlérienne et la France de Pétain, me rend plus admirable encore qu’il ait milité pour une pareille confiance en ses semblables. L’imiter, aujourd’hui, c’est apprendre à repérer comme lui la part inaliénable de beauté en chacun, et à s’y attacher. C’est entamer une nouvelle page de la démocratie, notamment avec le référendum d’initiative citoyenne, élaboré par Condorcet en 1793, précisément, dans un contexte de guerre civile, comme Badinter le sait très bien puisque lui et son épouse lui ont consacré un livre. C’est avoir ce qui manque aux femmes et aux hommes politiques d’aujourd’hui, vieux monde ou pas : un peu de courage.

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