Au début de ce 21ème siècle, la France vient d’entrer dans une nouvelle ère, celle du jeunisme politique servie par une communication inspirée d’une pratique oratoire et d’une image qui fleure bon le grand siècle. Il s’agit ni plus ni moins, pour remédier à la « crise de gouvernementalité » qui allait nous amener au pouvoir le Front national, de créer un pouvoir fort politiquement et phobique quant à son rôle dans la sphère économique.

A l’aide d’une représentation puissante et moderne entièrement tournée vers son Président se façonne une volonté d’affirmer un nouveau rapport vertical au pouvoir. La nouvelle photo officielle du Président en atteste et constitue plus qu’une image : c’est un programme à elle toute seule. Ce cliché satisfait totalement à l’exigence d’une communication simple et directement perceptible par tous ; alors que, tout au contraire, le président ne souhaite pas répondre aux questions des journalistes peu subtils, car sa pensée recèle une complexité telle qu’il vaut mieux livrer un symbole décryptable qu’une idéologie sujette à discussion. Il l’a toujours répété : il n’a pas besoin de programme ; il est son programme. Son image le montre.

Versailles devient alors l’allégorie de cette monarchie emblématique. Dès cet instant, le nouveau Président impose le mouvement qui doit marquer toute la vie politique, intellectuelle et culturelle du pays. Une nouvelle éloquence publique remplace la politique ou plutôt elle constitue le paravent, masquant  une réalité qui, elle est entièrement « quantophrénique ».  D’un côté la communication « grand siècle » revisitée et de l’autre la réalité des déficits qu’il faut combattre et la société qu’il faut réformer dans le sens d’une plus grande efficacité managériale. D’un côté, il faut penser « printemps » et faire preuve d’optimisme, c’est le rôle du monarque ; de l’autre on serre la vis, c’est l’attribut des ministres et des députés aux ordres.

Tous les membres du gouvernement ne sont liés qu’au Président, et pas au premier ministre ; les députés représentant le peuple suivent le mouvement, et ont tous comme premier devoir de louer ce monarque.

Avec Macron, il y a « l’heureuse paix » qui arrive. Macron parle et la concorde se réalise. Et si cette parole présidentielle se fait rare c’est pour lui donner plus de valeur et pour lui conférer plus de puissance. De plus, Et malgré les fautes des thuriféraires monarchiques, des humains faillibles (Bayrou, De Sarnez ; Ferrant et consorts) le monarque protecteur pardonne et « en même temps » protège.

Quant au peuple, il ne pourra pas rendre responsable ce nouveau Président de ce qui s’est passé dans les épisodes précédents. Le rapport de la cour des Comptes sur le budget insincère présenté par le précédent gouvernement est bien là pour montrer que la providence a bien fait de nous amener au pouvoir cet homme si clairvoyant qui va rompre avec les pratiques antérieures qui gaspillaient l’argent public. De plus, les souffrances à venir, rendues nécessaire par ce qui a été fait précédemment, sont indépendantes du nouveau pouvoir.

Ces circonstances, il n’en est ni maitre, ni responsable. Il a été élu pour appliquer le « régime gouvernemental du libéralisme », en ce sens que l’Etat contient en lui-même les freins d’intervention dans l’art de gouverner.

En finir avec l’interventionnisme d’Etat dans les mécanismes économiques et le développement d’une économie sociale et solidaire : « Il faut délivrer l’économie des contraintes étatiques et dans ces conditions la seule qualité de l’Etat doit établir la liberté et la  responsabilité des citoyens et peut alors légitimement parler au nom du peuple ». Tel est ainsi que s’exprimait le Chancelier allemand Ludwig Erhard en 1948, juste avant de devenir chancelier.  « Quid Novi ? Nihil Novi ! »

Ce nouveau Président  remet donc au gout du jour un vieil utilitarisme : il va « en même temps » nous apprendre à « gouverner le moins possible » en « laissant faire, laissant passer et le monde ira de lui-même», réalisant en quelque sorte la maxime de Vincent de Gournay au 18ème siècle : « Les prohibitions restreignent le travail, les taxes le renchérissent et le surchargent, les privilèges exclusifs le font dégénérer en monopole onéreux et destructeur ; il ne faut donc sur ce travail, ni prohibitions, ni taxes, ni privilèges exclusifs ».

Vous avez rêvé le libéralisme ; le Président Macron va le réaliser. En établissant les réformes à venir notamment concernant le code du travail, affirmant, comme le fait la nouvelle ministre du travail, qu’il n’est « fait que pour embêter 95% des entreprises », ce libéralisme évangélique prend tout son sens.

Ce nouveau « gouvernement frugal » est adepte, « en  même temps » (formule maintenant consacrée pensée complexe), du plus de monarchie républicaine. La nouvelle raison gouvernementale, annonçant la diminution de la dépense publique pour correspondre aux règles européennes auxquelles nous avons contribuées,  a comme mission principale d’amputer l’action publique dans la dépense sociale.

« Le gouvernement du trop et trop peu » du Président  Macron implique le trop en matière de pratique gouvernementale et rend les règles de fonctionnement de l’économie publique dans l’ordre du trop peu. Ce libéralisme enfin décomplexé est servi par une gestion de l’Etat semblable à l’entreprise avec tous ces attributs : efficacité, contrôle, profitabilité, obéissance au marché…

En réalité, avec du vieux, on fait du neuf et la volonté du nouveau Président Macron de gérer l’Etat comme une entreprise semble nous installer dans un univers décrit et voulu par le consensus de Washington à la fin des années 80. En réifiant les travailleurs pour en faire des variables d’ajustement, au travers notamment de ce « CDI de projet généralisé », il confirme la voie à la précarisation de ceux qui n’ont que leur force de travail comme capital.

L’alliance du libéralisme et de la mondialisation, seule modernité scientifique du 21ème siècle représente bien ce nouveau TINA (There is no alternative). Aujourd’hui sous la double influence de la mondialisation et de la volonté de défaire le Welfare state le travail de sape social et démocratique trouve son aboutissement.

La mondialisation serait naturelle et l’économie devrait être dépolitisée. Au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale, la déclaration de  Philadelphie affirmait de façon forte le principe de la dignité humaine, en opposition totale avec l’utilitarisme et la prééminence du marché comme principe de la régulation sociale contemporaine.

Sans naïveté, mais avec force, il s’agit aujourd’hui de ne pas tomber dans le piège du combat contre une image, mais de reconstruire une société qui se délite. « Donner à chacun ce qui lui est dû : voilà ce qui doit inspirer les politiques publiques nationales et les relations internationales », ainsi s’exprimait Karl Polanyi au siècle dernier. Suivant cette voix, il est indispensable de remettre l’individu social au centre de nos préoccupations et cesser de le considérer d’abord comme une marchandise.

Les lois de la nature, « qui sont inhérentes aux phénomènes observés », et les « lois de la vie humaine », que nous créons sont deux réalités. Il n’y a pas « d’ordre spontané » du marché qui serait en dehors du pouvoir de décision des individus votant en démocratie. S’il existe bien un danger dans nos sociétés c’est celui de la « désaffiliation », de la pauvreté aussi bien matérielle qu’humaine.

Revenons donc à un principe essentiel de nos sociétés développées : « A nous la démocratie ! »

Yves Zoberman, symphatisant d’A Nous La Démocratie!

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