Nous apprenions le 30 janvier dernier que le Musée d’Orsay à Paris venait d’acquérir une toile
du peintre Gustave Caillebotte intitulée Partie de bateau datée de 1877-1878.
A la fin du communiqué du Musée il est indiqué :
« Son acquisition, grâce au mécénat exclusif de LVMH, permet d’enrichir la collection
impressionniste du musée d’Orsay d’un chef-d’œuvre sans équivalent dans les collections
publiques françaises. »
Le budget annuel d’acquisition de l’institution parisienne de 3 millions d’euros s’est effectivement avéré insuffisant pour acheter cette toile vendue 43 millions d’euros. Par conséquent, les
équipes du Musée se sont tournés vers LVMH, la célèbre entreprise du luxe dont le dirigeant et
propriétaire est M. Bernard Arnault.
Merci donc M. Arnault, 1000 mercis, 43 millions de fois merci, de permettre au public d’admirer
ce chef d’œuvre à Paris. Le Musée affiche sa gratitude ; propos élogieux ici et là, dans la
presse, sur BFMTV bien sûr et sur les réseaux sociaux, notamment par Didier Rykner,
fondateur de la tribune de l’art, qui avait œuvré pour faire classer cette toile « Trésor national ».
Et c’est donc en toute logique à Jean-Paul Claverie, conseiller du dirigeant d’entreprise, qu’il est revenu le privilège de dévoiler la toile accrochée aux cimaises du Musée en présence de la
Ministre de la Culture et du Directeur du l’établissement.
Le citoyen Français, certainement très heureux d’apprendre cette bonne nouvelle, devait
chercher un peu, pour connaître les détails de cette belle acquisition. Si d’aventure il lisait le
journal Le Monde ou encore Télérama, alors il pouvait découvrir qu’il avait, lui aussi, contribué à l’achat du tableau. En effet, petite subtilité tue par le communiqué, le don de LVMH est défiscalisé à 90% ! C’est à dire que l’État remboursera LVMH à hauteur de 90 % de la somme réglée. Autrement dit, l’heureux contribuable règle une facture de 38,7 millions d’euros tandis que LVMH verse 4,3 millions. Et il n’a pas été remercié, ni invité sur la photo. Je ne sais pas pour vous, mais pour ma part, je trouve que tout ceci relève d’une complaisante tartufferie.

Que l’on en juge :


1°) le défaut de transparence

La communication du Musée, institution publique, est pour le moins fallacieuse, laissant à
penser que l’entreprise LVMH a effectivement assumé à elle seule l’acquisition du tableau peint par Caillebotte. Nulle mention de la participation du contribuable via la défiscalisation.
La très large défiscalisation du mécénat d’entreprise a été introduite par le Sénat (Faut-il
préciser ? à droite en majorité) dans le cadre du vote du projet de loi relatif aux musées de
France de 2002 du gouvernement Jospin, dont le but initial consistait avant tout à organiser
l’action des pouvoirs publics au regard des musées.
Avec quels effets ?
Lorsque le Sénat a entrepris de promouvoir le mécénat d’entreprise, il ne s’est pas agi
seulement d’en faire la promotion auprès de leurs propriétaires, cela s’est concrétisé de
manière sonnante et trébuchante, en niche fiscale. Paradoxal pour nos thuriféraires de la
maîtrise des dépenses publiques.
Car le coût pour le budget de l’État n’est pas négligeable: un rapport de novembre 2018 rédigé
par la Cour des Comptes l’évalue à 900 millions d’euros pour l’année 2017 !
Le rapport regrette en outre l’absence complète de contrôle par l’État de la niche fiscale…

2°) Les lauriers pour les riches


Non content de maintenir le citoyen à l’écart de toute participation à la prise de décision
politique, culturelle en l’occurrence, il n’est pas remercié alors que sur 10€ déboursé, il en paye
9 !
Mais l’autre effet pervers de cette défiscalisation délirante (sans équivalent dans les pays
occidentaux) est le déport du pilotage de la politique culturelle des musées de l’État vers les
hommes les plus riches du pays.
Qui a le dernier mot sur les acquisitions ? L’État ? Non, les mécènes.
Sans compter toutes les courbettes que doivent faire les directrices et directeurs de musées
aux puissants de ce monde.
S’il était mis fin à ce dispositif, les pouvoirs publics pourraient réattribuer ces 900 millions
d’euros au ministère de la culture à des fins d’acquisition d’œuvres d’art.

3°) une générosité à mettre en parallèle à l’incivisme fiscal


2 jours plus après le triomphe de LVMH, le Canard Enchaîné révélait que le taux d’imposition
sur le revenu de Bernard Arnault s’élève à 18 %, soit l’équivalent d’un couple déclarant 150000€, tandis qu’il déclare 280 millions de revenus en 2019…
De fait, le civisme fiscal n’est pas son fort. En 2017, le scandale des Paradise papers permettait de lever légèrement le voile sur l’évasion fiscale qu’il pratique à grande échelle, comme tant d’autres milliardaires (lequel ne cache pas son argent dans un paradis fiscal?) :

  • Immense demeure à Londres acquise par un trust domicilié à Jersey, cachant l’identité
    du véritable propriétaire, Bernard Arnault, au fisc.
  • Yacht domicilié aux îles Caïman, et par conséquent n’entrant pas dans l’assiette de l’ISF
  • Autre yacht acheté depuis l’Île de Man, donc non soumis à TVA
  • Fonds d’investissement localisé au Luxembourg
    A croire que M. Arnault vit partout sauf en France, si ce n’est lorsqu’il s’agit de recevoir les chaleureux remerciements de la classe politique pour sa grande générosité.
    Car la réalité est moins glamour. Non seulement les plus riches participent proportionnellement
    moins que le reste des Français au financement de l’action publique, mais ils se piquent de vouloir choisir les actions qu’il leur plaira de soutenir, un peu à la manière des patriciens romains pratiquant l’évergétisme.

La politique culturelle, comme la politique fiscale, ne doit pas être laissée aux seuls
professionnels de la politique car elle produit des aberrations de ce type que n’importe quel
citoyen ordinaire supprimerait d’un trait de plume s’il lui était donné l’occasion d’en décider.

Emmanuel Bonin

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