« Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre ».
C’est par cette phrase, empruntée à Jacques Chirac et prononcée en privé, qu’Emmanuel Macron a jugé bon de commenter publiquement le scandale Uber Files, par lequel on apprenait qu’entre 2014 et 2016, en tant qu’ancien ministre de l’économie, il avait rencontré en secret à de multiples reprises des représentants de l’entreprise Uber et mis en place une réglementation favorable à leurs intérêts.
La réglementation en vigueur ne le contraignait pas à la transparence au moment des faits.
Pour autant, son comportement ne laisse pas d’interroger, dans un État démocratique, dans lequel la vie politique se doit d’être publique. Son action, menée dans le secret a vraisemblablement servi les intérêts d’un acteur économique étranger, et non pas l’intérêt général.
Mais le Président de la République, loin d’adopter une mine contrite, assume bravache : « Je suis très fier de ce que j’ai fait (…) Je le referais demain et après-demain ».
Quelques jours plus tard, il se veut rassurant: « Je n’ai pas un tempérament à être sous influence ».
Loin de me rassurer, une telle réflexion doit nous alerter par sa signification implicite : pas besoin de mettre en place des institutions visant à contrôler l’action du chef du pouvoir exécutif, le Président agit à l’abri des influences ; tel un Saint Louis assis sous son chêne centenaire, il rend une justice aveugle aux intérêts…
Au contraire, la longue litanie des scandales de lobbying doit nous inciter à en exiger un encadrement suffisamment strict afin d’obliger acteurs privés et publics à œuvrer en toute transparence.
À cet égard, une inclusion de citoyennes et citoyens ordinaires tirés au sort au sein des instances politiques décisionnelles pourrait d’ailleurs nettement contribuer à réduire le risque de capture de l’action politique.
Avant d’en venir au possible rôle du citoyen dans la lutte contre les effets néfastes du lobbying, je reviendrai sur le scandale Uber Files afin de mieux en cerner la gravité.
Je voudrai ensuite m’attarder un peu sur la justification économique du Président. Car si elle constitue très souvent la boussole de ses discours, elle doit être soumise à examen.
J’élargirai la réflexion pour traiter du phénomène du lobbying en son ensemble et de son encadrement encore largement insuffisant.
Uber files : anatomie d’un scandale démocratique
Pour celles et ceux d’entre vous qui n’auraient rien suivi de l’actualité du mois de juillet, je vous résume vite fait les «#UBERfiles » :
Ils s’appellent ainsi car l’enquête démarre par la transmission de 124 000 documents internes datant de 2014 à 2017 de l’entreprise Uber par un ancien employé MarK MacGann, lobbyiste en chef pour la zone Europe, au journal britannique indépendant The Guardian, lequel a décidé de partager ces documents avec l’ICIJ, consortium international de journaux (comprenant Le Monde), dont le but consiste à mutualiser leurs forces afin de traiter de sujets internationaux complexes tels les scandales d’évasion fiscale.
Que révèle le journal Le Monde ?
Uber s’est livré à un lobbying de très grande ampleur dans le monde et notamment en France afin de faire modifier les législations nationales en sa faveur.
Pour rappel, le modèle d’Uber repose sur le développement d’une application performante permettant aux utilisateurs de trouver rapidement un VTC (voiture de transport avec chauffeur, autrement dit pas un vrai taxi) par géo-localisation. Ces chauffeurs sont indépendants et se voient prélever une commission à chaque course.
L’entreprise a cherché à s’implanter en France non seulement à nouant des liens avec des femmes et hommes politiques et leur entourage, en produisant des amendements clefs en main à remettre aux parlementaires conciliants, mais elle a eu aussi recours à des pratiques illégales, notamment :
- entraver une enquête de la police en coupant brutalement tout le réseau interne de l’entreprise (technique du Killswitch)
- obtenir des renseignements confidentiels sur les enquêtes fiscales en cours auprès des autorités néerlandaises, dont le jeu de dupe en matière n’a que trop duré sans que cela n’émeuve le gouvernement Français.
Le cœur du scandale se situe pourtant ailleurs : Uber a trouvé en Emmanuel Macron un allié fidèle et zélé ! Et ce, contre l’action de son propre gouvernement, qui mettait en place des dispositifs visant à réguler fortement l’action des plateformes de VTC, et à l’insu de ses concitoyens.
L’actuel Président a rencontré à plusieurs reprises les plus hauts représentants de l’entreprise, lors de rendez-vous non inscrits à son agenda officiel. Il a même échafaudé un véritable subterfuge en leur faveur. Ce dernier consistait à demander à Uber d’envoyer des amendements pré-rédigés à des députés de confiance, tous rejetés, mais dont la substance fut habilement reprise ensuite par le ministre lui-même dans un décret, laissant croire qu’il accédait à une demande du Parlement…
Pourquoi se montrer si attentionné à l’égard d’Uber ?
Il n’y a aucune preuve de corruption directe.
Mais d’après le journal, Emmanuel Macron serait fasciné par le PDG d’Uber lui-même trentenaire, et par ce nouveau monde des start-ups à succès. On vient du même monde, on est des winners, on se comprend.
Les élections présidentielles de 2017 approchant, ce même Mark MacGann rend la pareille et organise des dîners de levées de fonds. Des rapprochements se font : les équipes d’En Marche collaboreront avec facilité avec le département relations publiques de la firme Américaine, chacun dans leur intérêt bien compris.
L’arrivée d’Uber a-t-elle vraiment créé des emplois ?
Le 14 juillet dernier, le Président de la République interviewé déclare :
« Grâce à ça, ils [des milliers de jeunes venant de quartiers difficiles] ont trouvé leur première activité professionnelle, leur première paye. Ils peuvent nourrir leur famille. Je vais vous dire que je regrette ? Jamais ! »
L’arrivée d’Uber aurait permis la création de milliers d’emplois ?
Cette déclaration mérite qu’on s’y arrête, car le Président n’est jamais aussi à l’aise que sur les sujets économiques, et toute son action est tournée vers la croissance économique. Voyons s’il réussit dans son domaine de prédilection.
Commençons par recontextualiser cet argument économique.
Souviens-toi, en effet, cher.e lecteur.trice, qu’Emmanuel Macron a débuté sa carrière politique comme rapporteur de la commission pour la libération de la croissance française, plus connue sous le nom de commission Attali.
Ce rapport, comme de nombreux autres publiés dans les années 2000, notamment ceux du Conseil d’Analyse Économique, insiste sur la nécessité de libéraliser les marchés de services.
En effet, la France présente un déficit d’emplois dans le secteur tertiaire relativement aux pays d’Europe du Nord, du Royaume-Uni ou encore de l’Allemagne. Cette anomalie proviendrait essentiellement de barrières à l’entrée de certains de ces marchés. C’est à dire qu’il difficile pour un nouveau venu (outsider) de pénétrer un marché, car il existe des barrières réglementaires limitant l’accès. Ces barrières peuvent être des exigences de diplômes anormalement élevées, une fixation réglementaire du nombre maximum d’acteurs économiques autorisés à exercer. On parle de professions réglementées.
Qui dit accès limité dit concurrence limitée, dont il est normalement attendu une pression à la baisse sur les prix, et donc une diminution des profits, qui engendre à son tour une incitation à innover, à se démarquer pour augmenter sa propre part de profits.
Parmi ces marchés insuffisamment concurrentiels, le marché des taxis. Un fonctionnement très concurrentiel supposerait qu’à condition d’être détenteur du permis de conduire, d’acheter un véhicule et le fameux globe lumineux TAXI posé sur le toit, n’importe qui serait en mesure de s’installer chauffeur de taxi. Or en France, avant l’apparition des VTC, il fallait passer un examen et surtout acheter une licence parfois très coûteuse (600 000€ à Nice, 400 000 à Orly, 200 000€ à Paris, etc). Le prix de ces licences a explosé sous l’effet de la fameuse loi de l’offre et de la demande : la demande de taxis s’est accrue au fil du temps, or l’offre en face n’a presque pas augmenté depuis 1946 car les préfectures n’ont pas augmenté le nombre de licences. D’où une hausse de leur coût, au bénéfice des acteurs déjà en place (appelés insiders, les propriétaires de licence qui voient la valeur de celle-ci augmenter) mais au détriment des nouveaux venus et des consommateurs qui paient une course au tarif relativement élevé.
Emmanuel Macron veut alors ouvrir ces marchés pour augmenter l’emploi. Soit.
Qu’en est-il vraiment?
Les études d’impact indépendantes sur le sujet, comme sur nombre d’autres politiques publiques d’ailleurs, sont hélas rares.
Une étude de la COFACE publiée en 2016 estime le nombre net (c’est à dire la différence entre création et destruction) de création d’emplois en 3 ans à 12 000. Une autre de l’IGAS estime que le nombre de VTC est passé de 2000 en 2008 à 33 000 en 2018.
Du point de vue de l’emploi, son action semble être une réussite.
Mais si l’on prend en compte l’effet de l’arrivée de nouveaux acteurs dispensés d’acquérir une licence, on se doute que les chauffeurs de taxi se sont retrouvés lésés par la baisse du prix de la licence. D’autant qu’elle est souvent achetée à crédit.
Et c’est, de fait, ce qui s’est passé avec Uber à Paris dont l’arrivée a entraîné une baisse du prix de la fameuse plaque d’environ 45 % ! Un patrimoine financier détruit sans la moindre compensation.
Si l’action d’Emmanuel Macron peut être considérée comme un succès en terme d’emplois, elle s’est faite au détriment des chauffeurs de taxi. Pas de mécanisme de compensation financière pour atténuer le choc…
On imagine assez facilement qu’ils n’ont pas bénéficié du même accès qu’Uber au bureau du ministre de l’économie d’alors. D’où l’importance du lobbying !
Absence de patriotisme économique
À l’heure où la souveraineté industrielle est sur toutes les lèvres, je me permets une petite digression :
On ne le note pas assez souvent à mon sens, mais le comportement d’Emmanuel Macron et de l’élite qui l’entoure me paraît marqué d’une absence de patriotisme assez incroyable.
Qu’on y songe. Emmanuel Macron reçoit à 17 reprises les représentants d’une entreprise étrangère, Uber, pour les aider à contourner la réglementation française puis à modifier cette dernière afin d’en faciliter l’implantation sur notre territoire. Uber, qui fait de l’évasion fiscale un art et dont les profits repartent aux USA .
Mais que n’a-t-il pas déployé son énergie pour aider les entreprises françaises voire les chauffeurs de taxis à développer ou acquérir une technologie semblable ?
Cette affaire n’est pas sans rappeler la vente du département énergie (considéré comme une pépite industrielle) d’Alstom à l’entreprise américaine General Electric dans des circonstances troubles.
On a vu que l’argumentation économique d’Emmanuel Macron omet la conséquence financière désastreuse de la concurrence à bien des égards déloyale d’Uber sur le patrimoine des chauffeurs de taxi.
Mais quand bien même son action ne serait parée que de vertus, il n’est pas acceptable qu’elle se mène à l’insu de ses concitoyens.ennes.
Renforcer l’encadrement du lobbying et punir les dérives
Uber a déployé ce qu’il convient de nommer un lobbying agressif.
Définissons le lobbying pour bien cerner ce dont on parle.
Il s’agit de l’activité consistant à prendre l’initiative d’entrer en contact avec des personnes chargées d’élaborer et de voter les décisions publiques ou de conduire l’action publique nationale ou locale pour influencer leurs décisions.
Qui fait du lobbying ?
Tout le monde fait du lobbying : les ONG, les particuliers qui adressent un courrier à leur député, et les entreprises. Mais les plus grandes d’entre elles y consacrent des moyens conséquents. Elles s’unissent souvent au sein d’associations de défense d’intérêt, telles que les tristement célèbres lobbies des pesticides : l’Union de l’industrie de la protection des plantes (UIPP) dont les positions sont parfois communes à celles de la FNSEA, des cigarettes : Council for Tobacco Research (CTR), du médicament : Les EntrEprises du Médicament (LEEM) ou encore le lobby automobile : l’Association des constructeurs européens de l’automobile (ACEA).
Avec quels moyens financiers et humains ?
Il est hélas peu aisé d’obtenir des informations fiables sur les moyens consacrés au lobbying par les plus puissants lobbies. On dispose de quelques données au sujet du lobbying réalisé auprès des autorités européennes à Bruxelles.
Les 8058 groupes d’intérêts d’entreprises officiellement enregistrés dépensent environ 2,4 milliard d’euros en actions de lobbying et elles emploient 40 000 personnes. Ils représentent 80 % des rencontres entre les autorités européennes et l’ensemble des lobbies (entreprises, ONG, etc).
Pourquoi faire du lobbying ?
Les défenseurs des lobbyistes (appelés aussi représentants d’intérêt) affirment qu’il est sain que les autorités publiques connaissent le point de vue des entreprises privées, argument que les ONG militant pour la transparence ne contestent pas.
Le problème réside en leurs moyens disproportionnés mis en œuvre pour obtenir -trop souvent avec succès- des décisions favorables à leurs intérêts qui ne coïncident pas nécessairement avec ceux des citoyennes et citoyens.
Quelle est la nature des actions menées par les lobbies ?
- Rencontre de parlementaires et rédaction d’amendements
On l’a dit, les lobbies cherchent à rencontrer les élus.es pour faire valoir leurs intérêts.
Lorsqu’ils rencontrent des parlementaires sensibles à leur cause, ils n’hésitent pas à leur fournir des amendements pré-rédigés que ces derniers présentent parfois tels quels à l’Assemblée nationale ou au Sénat.
Le vote de loi EGALIM (pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable ) en 2018 a ainsi donné lieu à la présentation d’une avalanche d’amendements rédigés par le lobby des pesticides ou par la FNSEA afin de repousser toute initiative « trop » écolo à leur goût. Jusqu’à présenter le même amendement copié collé par 20 députés avec une faute d’orthographe !
- Le pantouflage
2 pantouflages récents ont défrayé la chronique. M. Djebbari, ancien ministre des transports, qui après s’être vu refuser la possibilité de travailler au service de CMA CGM par la HATVP , a récemment rejoint le groupe automobile Hopium. Personne ne se souvient des mesures prises par ce ministre, mais tous les industriels polluants saluent sa mansuétude, et les citoyennes et citoyens déplorent son inaction quant aux transports en commun.
Gonflé aussi, le recasage de la cheffe de cabinet de Marc Fesneau, ancien ministre à l’agriculture, en tant que directrice de la communication du lobby des pesticides Phyteis. On comprend mieux l’absence complète de volonté à impulser la transition écologique de l’agriculture que les Françaises et Français réclament.
Le plantouflage est la version soft de la corruption consistant à quitter la sphère publique pour obtenir un poste prestigieux et bien rémunéré, souvent après s’être montré très très conciliant avec les intérêts d’un lobby. Parfois, le travail demandé par l’entreprise privée sera presque nul, si ce n’est d’ouvrir son carnet d’adresses, et les portes des nouveaux décideurs qui ont souvent fréquenté les mêmes bancs.
- S’appuyer sur des scientifiques conciliants et parfois corrompus
On apprenait par le scandale Uber Files que 3 économistes de renom, Augustin Landier, David Thesmar et Nicolas Bouzou, avaient été rémunérés par UBER pour apporter leur caution scientifique à des études prouvant les bienfaits économiques des plateformes VTC, études dont le Monde souligne les faiblesses.
Pire encore, certains scientifiques se laissent corrompre pour défendre des produits hautement toxiques, tel le glyphosate de la firme Monsanto. Le doute est ainsi distillé par la caution apportée par la signature de scientifiques reconnus.
On s’étonne ensuite que certains versent dans le complotisme, mais à bien regarder les coups les plus tordus des grandes entreprises, ce serait l’inverse qui serait étonnant.
Revenir aux fondamentaux : la démocratie implique la transparence
Quels sont les moyens prévus par la loi pour imposer la transparence aux acteurs publics ?
Le premier texte de loi à traiter directement de ce sujet est la loi dite Sapin 2 promulguée en 2016.
S’inspirant du fonctionnement des institutions européennes, elle entérine la création du premier registre de déclaration obligatoire d’activité pour les lobbies ainsi que d’une autorité indépendante appelée, Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), dotée d’un pouvoir de contrôle et de sanction des représentants d’intérêts.
Bien que cette loi soit saluée comme une avancée, elle est largement jugée inopérante, principalement en raison du défaut de contrôle et de sanction.
En effet, les moyens juridiques (absence de pouvoir d’enquête, contrairement à d’autres autorités indépendantes telles que l’autorité de la concurrence ou la CNIL) et humains (10 agents) sont très faibles comparés à ceux des plus puissants lobbies.
Ainsi depuis sa création, les contrôles de la HATVP n’ont donné lieu à aucune sanction administrative ou pénale.
Par ailleurs, la définition insuffisamment stricte de la notion de représentant d’intérêt en facilite aisément le contournement.
Que faire pour améliorer la transparence en France ?
Le très instructif rapport de la mission d’information menée par MM les députés Gauvain et Marleix en 2021 avance un certain nombre de recommandations que l’on peut résumer ainsi :
- Rendre la réglementation plus opérante en terme de définition afin d’y inclure l’ensemble des activités des lobbies
- Responsabiliser les décideurs publics (absence de sanction du défaut de transparence)
- Renforcer les moyens juridiques et humains de la HATVP pour lui permettre de mieux appréhender l’activité des lobbies, notamment celle des plus puissants d’entre eux, et d’administrer des sanctions des comportements délictueux suffisamment dissuasives à même d’améliorer la transparence de la vie politique.
Car enfin, c’est bien de cela dont il s’agit, de vie politique, c’est à dire de la définition de règles visant à organiser la vie en commun, la vie de chacun d’entre nous ; ce qui justifie en elle seule la participation de chacun chacune, non seulement à la prise de décision mais aussi au contrôle l’application de ses règles.
Or, trait trop commun de tous les rapports (souvent de très bonne facture) rédigés par le Parlement ou par les cénacles d’experts, c’est l’absence complète d’intégration du citoyen.
La démocratie directe est fondamentalement moins soumise à l’influence néfaste des lobbies industriels et financiers
L’action des lobbies trouve son efficacité dans l’effet réseau. Leur but n’est en effet pas tant de convaincre (que le glyphosate est bon pour la santé ? Que le Mediator est un médicament hyper safe ?) que de rechercher et de s’assurer partout des soutiens parmi les décideurs et la haute administration, notamment par le jeu du renvoi d’ascenseur (cf. supra, pantouflage).
L’accès direct des citoyens au pouvoir aura pour effet de réduire considérablement l’effet réseau.
Un réseau, je signifie par là un carnet d’adresses, se construit avec le temps, patiemment. Et la valeur du carnet d’adresses se mesure au nombre de numéros de téléphone de politiques, de collaborateurs, de conseillers, de directeurs.trices de cabs, de hauts fonctionnaires, qu’il contient.
Déplacez le siège du pouvoir vers de parfaits.es inconnus.es tirés au sort et dont le mandat reste relativement court, que se passe-t-il ?
Le lobbying perd grandement de son intérêt, car le temps nécessaire pour prendre contact et nouer une relation de connivence fait défaut.
Comment cela pourrait-il concrètement se traduire ?
On peut très bien imaginer que l’organe délibérant de la HATVP appelé collège et dont le rôle consiste à examiner les dossiers instruits par les services et adopter toutes les décisions de l’institution, soit composé de citoyens.ennes tirés au sort qui auraient été préalablement formés, et recevraient l’appui d’assistants.es.
Réinstaurer la confiance en nos institutions passera par l’implication citoyenne au contrôle de ces dernières.
Ce serait une première modeste étape.
Mais la crise politique de notre pays est si aiguë qu’elle appelle une profonde démocratisation du pouvoir. Celle-ci peut se traduire par la mise en place d’une Assemblée citoyenne (en lieu et place du Sénat ? De l’Assemblée ? l’abstention devient si forte qu’il est vraiment temps d’y réfléchir) dotée de réels pouvoirs législatifs dont le fonctionnement pourrait s’inspirer de l’expérience de la Convention citoyenne pour le Climat.
Les citoyens qui l’ont composée, ont rencontré des experts, des associations, des représentants d’intérêt, mais ils l’ont fait au vu et au su de tous, face caméra[1], en transparence.
Le tirage au sort comme modalité de désignation du décideur public présente cette supériorité sur l’élection qu’il réduit nettement l’effet réseau, évoqué plus haut.
En conclusion, j’affirme que les Uber Files révèlent bien un scandale qu’il est aisé pour le Président de balayer, tant les institutions le protègent, le couvrent, le rendent inexpugnable.
La vie politique d’une démocratie exige la publicité de ses débats, de l’action de ses magistrats, en tant qu’exécutants de la volonté du peuple. Le secret systématiquement recherché par les représentants d’intérêt mais aussi par les décideurs publics érode profondément la confiance sur laquelle reposent nos institutions, et l’ampleur du mal fait, se mesure au niveau -chaque année plus grand- d’abstention aux différentes échéances électorales.
Le renforcement des moyens juridiques et financiers de la HATVP paraisse indispensable mais ne semble hélas pas faire partie des priorités du pouvoir en place.
Une participation active des citoyennes et citoyens à l’élaboration de la décision offrirait des garanties d’indépendance qui fait tellement défaut à nos régimes représentatifs.
Article écrit par Emmanuel Bonin, membre d’ANLD!
[1] Thierry Pech, Le Parlement des citoyens, Seuil 2021, pp 114-121