Alors que les discussions autour de la démocratie en entreprise s’intensifient chez À nous la démocratie et qu’un nouveau type d’action se profile, l’un de nos membres a concocté une bibliographie d’introduction au sujet pour donner des idées et, surtout, des envies de lecture.
La science du management est une matière relativement neuve et pour ce qui concerne notre recherche, l’organisation démocratique des entreprises, les ouvrages sont encore plus récents. Plutôt qu’une bibliographie au sens strict, ce qui suit est un parcours rapide et certainement incomplet du panorama des auteurs et des ouvrages les plus essentiels.
Cette bibliographie évite les ouvrages seulement critiques du système capitaliste actuel et de son fonctionnement. Si des organisations s’interrogent sur l’inefficacité et/ou l’inhumanité de leur mode de fonctionnement, nous n’avons pas besoin de venir le leur dire. Ce qui est important ce sont les solutions que toutes nos réflexions pourront apporter. Pour ce qui concerne la critique du fondement des entreprises actuelles, la hiérarchie, le texte de Cornelius Castoriadis devrait suffire.
Attention : cette liste n’est pas exhaustive, mais permet une première approche synthétique. Elle ne comprend pas les ouvrages concernant principalement les techniques d’intelligence collective. Des formations existent, par exemple celles en ligne de l’Université du Nous sur la gouvernance partagée.
Avant la seconde guerre mondiale
De toute la production d’avant la Seconde Guerre mondiale, il ne faut retenir que trois auteurs : Mary Parker Follett, Hyacinthe Dubreuil et Elton Mayo. Aucun des trois n’a un parcours classique d’organisateur en entreprises. Mary Parker Follett fut organisatrice de centres sociaux, Hyacinthe Dubreuil ouvrier métallurgiste et Elton Mayo psychologue. Les ouvrages essentiels de ces auteurs datent des années 1930. À Mary Parker Follett, nous devons la distinction entre pouvoir et autorité, ainsi que des méthodes de résolution des conflits, à Hyacinthe Dubreuil la notion de groupes projets autonomes, à Elton Mayo l’importance des relations humaines sur la productivité du travail. À la suite des expériences d’Elton Mayo naquit l’école des relations humaines dont une partie des auteurs firent des recherches portant sur la participation des travailleurs à l’organisation du travail et de l’entreprise. Les principales interventions de Mary Parker Follett ont été publiées après sa mort. Hyacinthe Dubreuil fut pétainiste mais sauvé à la libération parce que ses idées de participation des travailleurs à l’organisation furent reprises à leur compte par une frange des gaullistes. Elton Mayo publia juste après la seconde guerre mondiale deux ouvrages sur sa conception de la société qui sont sans doute à découvrir.
La découverte de la nature humaine
C’est au cours de la Seconde Guerre mondiale et dans les années qui suivirent que furent mises en évidence les fondamentaux de la nature humaine. Car c’est dans la nature humaine qu’il faut rechercher ces besoins humains de liberté et d’entraide, d’égalité également. Il n’est pas surprenant que ce type de recherche fut mené le plus souvent par des psychologues et des ethnologues.
Toute organisation, d’entreprise ou pas, doit nécessairement prendre en compte notre nature pour construire un système qui soit en conformité avec elle. Ce qui rejoint, par ailleurs, la notion des droits naturels, prônés par les philosophes des lumières du XVIIIème siècle dans leur conception d’une nouvelle société, sur une base alors non scientifique.
C’est au cours de la Seconde Guerre mondiale que Bronislaw Malinowski écrivit Une théorie scientifique de la culture (1944). À la même époque Kurt Lewin montre que des relations de groupe démocratique sont plus efficaces que les groupes autocratiques et le « laisser faire ». À la suite de ses recherches naquit la recherche sur les comportements humains dans les groupes restreints – la dynamique des groupes. La nature humaine étant faite, voire définie par, de besoins – voir les ouvrages d’Abraham Maslow sur ce thème – toujours à la même époque et dans les années d’après-guerre, sont encore aujourd’hui incontournables. De ses ouvrages naissent toute une série d’études sur les motivations au travail. Les apports de Carl Rogers sur la non-directivité empathique dans les groupes sont essentiels. Pour aller dans quelques détails, il faut aller lire les ouvrages de l’école behavioriste, par exemples Fritz Roethlisberger, Rensis Likert, Chris Argyris.
Vers une organisation de l’entreprise en conformité avec la nature humaine
Douglas Mc Gregor est l’auteur moderne qui fait le lien entre la nature humaine et l’organisation de l’entreprise : dans The Human Side of Enterprise (1960), il affirme que l’effort physique et mental ainsi que la recherche du dépassement de soi sont naturels chez l’être humain (génération Y). Les motivations de l’être humain au travail font partie des recherches de Frederick Herzberg. C’est avec Henry Mintzberg qu’en 1979 apparait une nouvelle approche globale d’un système nouveau d’entreprise, précurseur de la sociocratie et de l’holacratie, l’adhocratie.
Si les conceptions classiques de l’organisation du travail et de l’entreprise sont basées sur la hiérarchie et donc la négation de la liberté de l’être humain au travail, les défauts de ce type de structures sont tels que nait un courant néo-classique qui introduit, plus ou moins, une participation des salariés à l’organisation du travail, parfois de l’entreprise. C’est dans ce sens qu’il ne faut pas négliger quelques ouvrages de Peter Drucker et Octave Gélinier (direction participative par objectifs, décentralisation des décisions au niveau le plus bas possible, auto-contrôle), surtout pour les écrits d’après les années 1970.
Notre siècle enthousiasmant (et un peu avant)
De fait, ce sont les ouvrages les plus actuels qui devraient constituer notre bibliothèque de référence, tant en ce qui concerne la nature humaine, qu’en ce qui concerne l’organisation démocratique des entreprises. Les fainéants pourront s’en contenter, les pédants s’intéresseront également aux ouvrages du siècle passé. À ne pas oublier, dans ce siècle magnifique non sans dangers qui s’ouvre vers des perspectives radicales, que les connaissances sont largement partagées sur les réseaux numériques. Sur tous les sujets vous trouverez non seulement beaucoup (trop) d’articles et de conférences mais également des ouvrages, les plus anciens comme de plus récents, directement accessibles. Surtout ne vous privez pas de butiner partout et de faire part de vos découvertes.
Pour une meilleure connaissance de la nature humaine
Si les notions de liberté et d’autonomie ont été mises en évidence par les auteurs déjà cités, la notion d’entraide l’est avec les ouvrages de Marcel Mauss (Essai sur le don, 1924) et Pierre Kropotkine (L’entraide, un facteur d’évolution, 1902). Ces notions sont confirmées par des études citées dans deux ouvrages importants, celui de Jacques Lecomte, La bonté humaine (2012) et celui de Pablo Servigne et Gauthier Capelle L’entraide, l’autre loi de la jungle (2017). À noter que c’est sur la base, entre autres, des idées d’entraide que s’est constitué le mouvement des convivialistes.
Bibliographie plus spécifique aux entreprises :
1 / Les motivations de l’être humain au travail
– Edward Deci & Richard Ryan, La théorie de l’autodétermination (1985)
– Daniel Pink, La vérité sur ce qui nous motive (2009)
Ainsi que les ouvrages de l’école de la psychologie positive.
2 / Pour une organisation démocratique des entreprises
Deux types d’ouvrages existent, ceux de concepteurs (mot plus adéquat avec les ouvrages que « théoriciens ») et les praticiens.
2-1 / Parmi les concepteurs, trois ouvrages sont fondamentaux, incontournables :
– Brian J. Robertson, La révolution Holacracy (2015)
– Issac Getz & Brian Varney, Liberté & Cie (2012)
– Frédéric Laloux, Reinventing Organizations (2014)
Les différents ouvrages de ces auteurs sont à surveiller. En tant que consultants ou enseignants, ils sont également très actifs par conférences disponibles sur internet.
2- 1 a / La gestion des biens communs
Pour l’analyse de la gestion des biens communs il n’est pas possible de ne pas lire le livre d’Elinor Ostrom, La gouvernance des biens communs (1990).
2-2 / Parmi les praticiens, dont certains sont cités dans les livres précédents, notons plus particulièrement les entreprises françaises :
– Michel Lulek, Scions… travaillait autrement (2009)
– Jean-François Zobrist, La belle histoire de Favi (2008)
– Alexandre Gérard, Le patron qui ne voulait plus être chef (2017)
Dans certains des ouvrages précédents, est posée la question de la raison d’être des entreprises et est remise en cause la recherche du profit maximal. Il n’est en effet pas possible de poser la participation des salariés sans interroger la finalité de l’entreprise dont certains affirment qu’elle doit être en concordance avec des finalités sociales et environnementales. Les ouvrages les plus récents posant directement la question sont :
– Jacques Lecomte, Les entreprises humanistes (2016)
– Isaac Getz et Laurent Marbacher, L’entreprise altruiste (2019)
Et maintenant…
Toutes les méthodes et techniques ne se valent pas sur le plan démocratique : certaines le sont plus que d’autres. Pour les classer vous pouvez utiliser l’échelle de la participation de Sherry Arnstein. C’est ainsi que vous découvrirez sans peine les techniques qui ne sont que la poudre aux yeux et celles qui avancent vers une démocratie véritable. La question toujours centrale est : qui finalement prend les décisions ? Et comment sont partagés les bénéfices.
Si nous devenons expert.es dans le diagnostic de ces questions, nous pourrions construire une méthode d’audit permettant d’offrir aux organisations une vue d’ensemble de la situation. Et de proposer des solutions pour aller plus loin.
Vous vous demandez comment vous allez vous en sortir. C’est simple : le mouvement se prouve en marchant.
André, membre d’À nous la démocratie.
Photo de Alfons Morales sur Unsplash
Le texte de Cornélius Castoriadis « Autogestion et hiérarchie » est là https://infokiosques.net/IMG/pdf/Autorarchie.pdf
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