par Amine Abdelmajid, membre d’À nous la démocratie !

Cette semaine, deux mouvements politiques sont apparus dans les champs social, politique et médiatique: Place publique et les gilets jaunes. Si ces deux mouvements ont en commun de protester contre les effets de la politique du gouvernement, une comparaison rapide fait apparaître plus de différences que de ressemblances.

Pour tout observateur, c’est-à-dire de l’extérieur, il est facile de voir au moins cinq sortes de différences : celles liées à leurs conditions de naissances, celles liées à leurs prétentions, celles liées à leur organisation, celles liées à leur temporalité et celles liées à leurs conditions d’accueil par les médias. Ainsi, premièrement alors que le mouvement Place publique est né de la volonté de donner un poids nouveau à une gauche nouvelle, le mouvement gilets jaunes est né pour défendre des revendications au départ très précises et liées à la répercussion sur le pouvoir d’achat de la mise en place d’une nouvelle taxe sur les carburants ; deuxièmement, alors que d’un côté, un héritage historique, un horizon idéologique et une analyse de la situation sont clairement explicités, de l’autre, des choses plus diffuses mais qui restent aisément repérables et formulables : la volonté de résister concrètement aux effets de la taxe sur le diesel et une fatigue, celle de subir misère et injustices dans un monde qui, cependant, ne cesse de se développer et de s’enrichir ; troisièmement, alors que les organisateurs de Place publique ont conceptualisé une organisation en amont, les porteurs de gilets jaunes assument sans complexes une relative spontanéité au lieu de l’apparition de leur mouvement ; quatrièmement, alors que Place publique s’inscrit dans le cadre du calendrier électoral et indexe son développement au rythme des élections à venir, les gilets jaunes revendiquent l’immédiateté et l’urgence de leur action ; cinquièmement enfin, alors qu’il y a eu, avant son événement de lancement, une bienveillance et une curiosité pour Place publique, la méfiance et la suspicion ont accompagné l’évolution embryonnaire des gilets jaunes.

Les conséquences de ces différences sont nombreuses. D’un point de vue pratique, elles classent Place publique, notamment compte tenu de tous les moyens dont ce mouvement bénéficie déjà, dans la catégorie occupée par les mouvements politiques traditionnels. En ce sens il n’y a évidemment rien d’anodin à ce que ses initiateurs l’affichent sur leur site internet En ce qui concerne le mouvement des gilets jaunes, il a vite été rangé dans le coin des mouvements-feu-de-paille, obscurs, récupérables et récupérés, corruptibles voire corrompus, bref, dans le coin des mouvements pas fréquentables, coin évidemment désigné par les mouvements traditionnels. Et cela, même si ceux qui ont décidé de se réunir dans les salles des fêtes de plus de 1500 villes, des plus petites villes au plus grandes, revendiquent agir en tant que citoyens. Comment interpréter alors le fait que Raphaël Glucksmann, fondateur de Place publique, a fait partie de ceux qui n’ont pas souhaité accorder le label citoyen aux gilets jaunes ?

D’un point de vue théorique, sans doute que ces différences renvoient aux enjeux de la diversité des paroles contestatrices et à la difficulté de les tenir toutes ensemble sur des fondements communs. Différences et difficulté que nous avons déjà connues en France en 2005, pour l’adoption du traité de Rome II. Ainsi nous savons d’expérience que cette diversité peut cacher des oppositions profondes dans les forces d’opposition, et cela en particulier lorsque l’espace politique appelé aujourd’hui opposition regroupe tous les partis qui ne sont pas le parti présidentiel, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite. Mais nous ne sommes pas dupes : nous savons aussi à qui profite, finalement, toutes les divisions : au pouvoir politique actuel, conservateur, inégalitaire et autoritaire. Est-ce un hasard si le porte-parole du gouvernement a de nouveau pris soin, ce jeudi 15 novembre, d’entretenir le flou sur l’identité de ses opposants et ce qui les anime ? Enfin nous savons reconnaître nos alliés et nos ennemis : nous ne nions pas qu’il y a une diversité d’oppositions dans l’opposition, qu’il y a des oppositions de droite et des oppositions de gauche. Nous ne nions pas non plus qu’il y a, parmi ces oppositions dans l’opposition, des incompatibilités évidentes. En revanche, ce que nous refusons, au nom de la démocratie, c’est de nous laisser piéger par la division, c’est-à-dire finalement autant par ceux qui divisent que par ceux qui sont divisés.

Et alors demandons-nous : que pourrait-il arriver si, fatigués de ces fausses oppositions, de ces oppositions artificielles et stériles, nous décidions, actant le luxe de nos différences et la facticité de certaines oppositions, de faire l’effort de rechercher les terrains d’entente entre toutes les voix contestatrices ? Comment tirer les conséquences, aussi bien dans l’action que dans l’analyse, des montées récentes et dangereuses des populismes d’extrême-droite à travers le monde ? Si nous sommes convaincus que le gouvernement actuel se trompe aussi bien dans le fond de ses réformes que dans sa méthode de gouvernance ; si nous sommes, par ailleurs, bien obligés de constater l’échec des oppositions actuelles à construire un espoir démocratique et fédérateur ; si nous sommes, enfin, pris de l’intérieur à l’endroit qui se situe entre notre colonne vertébrale et notre thorax lorsque nous décidons de regarder l’état du monde dans lequel nous vivons droit dans les yeux, que faire ?

La première chose à faire est sans doute de soutenir l’émergence de toutes les initiatives qui contestent l’ordre actuel des choses et qui cherchent à améliorer les conditions d’existence de tous sans exception : les opprimés d’aujourd’hui et d’ailleurs comme les victimes du réchauffement climatique de demain. Ainsi la démocratie : favoriser l’organisation du peuple et la réalisation de cette formule célèbre, rangée dans les tiroirs des idéaux : le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Dans cette optique, l’apparition simultanée de Place publique et des gilets jaunes ne peut qu’être accueillie et applaudie.

La deuxième chose à faire semble ensuite d’aider et d’encourager l’installation, le développement et la stabilisation de ces initiatives. De ces deux dernières initiatives précisément et, en fait, de manière plus générale, de toutes celles qui défendent la démocratie et militent pour qu’enfin la société dans laquelle nous vivons corresponde à celle dans laquelle nous méritons tous de vivre et de grandir. Pour ce faire, encore faut-il faire apparaître dans l’espace social des points de fixation, de jonction entre toutes ces initiatives. Que celles-ci agissent contre la corruption de nos représentants, pour la transparence, pour l’environnement ; qu’elles soient ponctuelles ou qu’elles aient vocation à durer ; qu’elles soient marginales, locales, nationales, étrangères, européennes, ou transnationales, à condition qu’elles œuvrent pour l’universalisation des droits et la démocratisation de la société. Ainsi la troisième chose à faire : trouver des points dans la réalité vers lesquels converger, conscients que la démocratie véritable n’est rien d’autre que « l’indifférence aux différences » (V. A. Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?).

Trouver des points, et les tenir. Coûte que coûte. Dans l’horizon à court terme, nous proposons que la grande marche mondiale pour le climat prévue le 8 décembre prochain soit un de ces points. En tant que point de rencontre, il permettra à beaucoup de mouvements de se rencontrer autour d’une cause commune, fédératrice, nécessaire et vivifiante. Il pourrait être aussi l’occasion de clarifier, notamment pour les gilets jaunes, leur position vis-à-vis des questions écologiques, si éloignée des caricatures véhiculées quotidiennement pour les discréditer ; pour Place publique, de nous éclairer de leurs propositions concrètes ; et pour tous, de commencer à regarder droit devant, en direction du calendrier électoral ou non, à la recherche d’autres points. Des points que nous trouverons ; et que nous tiendrons.

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