Nous en avons tous fait, hélas, l’amer constat : le monde politique relève de la professionnalisation. Pour bien s’en rendre compte, il suffit de se lancer dans une campagne électorale. En peu de temps, on est confronté à une réalité assez cruelle. Pour être élu, il faut des voix, donc convaincre des électeurs, donc les rencontrer et donc attirer leur attention. C’est là où tout se complique sérieusement.
En effet, se faire connaître nécessite un grand nombre de compétences, une audace pour interpeller, un sens de l’organisation hors du commun pour préparer des salles, attirer un public, être présent sur internet, écrire des discours, préparer et développer un programme politique, sans parler des aspects financiers… Même en imaginant qu’un citoyen ne possédant pas ces qualifications et souhaitant être élu opte pour le porte à porte, pour rencontrer pendant une heure 10 000 électeurs, il lui faudrait 5 ans et demi (en supposant qu’il s’y consacre 35 heures par semaine !), soit plus que la durée d’un mandat de député… Incontestablement, seul sur son temps libre il est illusoire d’espérer être élu.
Cela est terriblement frustrant, car ces compétences ne sont pas requises pour évaluer, discuter et voter des lois ou des projets dans une assemblée, ce qui au fond se révèle être au centre de la politique et que nous faisons tous les jours ! Fort heureusement, il existe une solution très simple pour laquelle aucune des qualités mentionnées n’est nécessaire : il suffit de rejoindre un parti politique ! Ce sont en effet de véritables machines à communiquer et organiser des campagnes électorales, elles sont capables de propulser n’importe qui à l’assemblée nationale.
Malheureusement ce n’est pas simplement : « tire la chevillette, la bobinette cherra » ! Pour être présenté par un parti à une élection, il faut préalablement être investi par une obscure commission d’investiture, composée à la guise du chef du parti sans consulter les militants ! C’est en effet elle qui décide qui hérite de quoi et qui est parachuté où, tout cela à l’abri du regard des citoyens à qui ses choix sont imposés. Évidemment, être investi suppose de s’armer de patience, une obéissance à toute épreuve, un respect absolu de la hiérarchie et un peu de chance, afin de gravir les échelons. Comme le révèle les biographies de nos hommes politiques, ce processus est très long, suppose de commencer très tôt (quitte à sacrifier ses études) et un investissement à temps plein.
C’est ainsi qu’on arrive à la situation où la plupart des hommes et femmes politiques ont fait leur carrière en politique et travaillent sur des lois ou des sujets qu’ils n’ont jamais vécus personnellement, comme c’est le cas par exemple pour le travail en entreprise, la recherche d’emploi ou la pauvreté. Ne voulant pas mettre en péril leurs mandats, ressources et carrières, il ne faut pas s’attendre à trop de créativité ou d’audace de leur part, alors que c’est précisément ce qui est attendu. Aussitôt élu, la popularité est scrutée comme un compteur de vitesse en vue de la prochaine échéance électorale !
Toutefois, ce n’est pas le plus dramatique car une fois arrivé, par exemple, à l’assemblée nationale, les élus sont priés de gentiment voter les textes du gouvernement et même de les défendre auprès de leurs électeurs, comme un service après-vente… Débattre des lois est exclu du mandat de parlementaire ! Enfin, en cas d’indiscipline, l’obscure commission d’investiture viendra sanctionner et remplacer les éléments perturbateurs pour les prochaines élections. Comme si ce n’était pas assez, les chefs nous expliquent que ceci « normal », « dans l’ordre des choses », « c’est la tradition », etc… Sans parler des experts, conseillers et groupes de pressions gravitant autour des élus et qui les alimentent de leurs sages réflexions et préconisations, loin des yeux des citoyens.
Heureusement cette situation n’est pas irrémédiable, de nombreux mouvements citoyens, comme ANLD!, existent et commencent proposer des candidats issus de la société civile, ainsi qu’une aide et un soutien technique. Cependant, ne faut-il pas aller plus loin ? Dans l’idéal chaque citoyen ne doit-il pas pouvoir débattre et contribuer à l’établissement des lois ? Ceci n’est évidemment pas possible dans l’absolu, comment réunir des millions de personnes, leur expliquer les enjeux et les faire débattre ? Toutefois, il est juste de remarquer qu’il n’est probablement pas nécessaire de rassembler tous les citoyens. Nous avons, en effet, pour la plupart, des intérêts communs et sommes soucieux de l’intérêt général. De plus, il est connu en mathématiques qu’un échantillon suffisamment important de personnes permet de bien rendre compte des opinions et besoins d’une population de taille considérable.
C’est en cela que la proposition numéro trois d’ANLD!, à savoir la création d’une assemblée de citoyens tirés au sort pour examiner les lois, est pertinente. Elle répond au double enjeu de la légitimité de la représentation et de la taille raisonnable.
Cette proposition présente aussi de nombreux avantages. Outre le fait qu’elle remette au centre du jeu politique les citoyens, elle leur permet de participer concrètement à la vie politique de notre pays, levant ainsi de nombreuses frustrations. Elle limite, également, l’influence des lobbys, car il est bien délicat de s’attirer les sympathies de personnes exerçant peu de temps une activité politique et n’ayant pas d’intérêts particuliers.
De plus ses membres seront plus à même de se consacrer entièrement à leurs tâches, ils n’auront pas à se soucier de leurs carrières et de leur popularité sur le « terrain ». Ils auront moins tendance à se perdre dans des débats idéologiques et seront plus à même d’écouter ceux à qui s’appliquent, ainsi que ceux qui appliquent, les lois.
Aussi, n’ayant qu’un seul mandat, ils ne considéreront que les enjeux nationaux. C’est en effet un mal moins connu que l’absentéisme, mais la cumulation des mandats tend à la confusion des intérêts politiques. Par exemple, un député est tenté de s’intéresser plutôt aux questions relatives aux collectivités locales, correspondant à ses autres mandats, aux détriments des questions nationales pour servir ses intérêts locaux.
Naturellement, cette proposition peut faire peur, car elle permet des gens, a priori, incompétents et ignorants de prendre les décisions. Cependant, c’est déjà ce qu’on observe la plupart du temps. D’ailleurs, peut-être même que ces gens se montreront tout à fait capables ! Aussi, les jurys d’assises, pour les affaires judiciaires, fonctionnent déjà sur ce principe et personne ne s’en plaint ! Il est donc légitime de penser que cette proposition mérite d’être tentée et, pour paraphraser Jean-Paul II, « n’ayez pas peur » !
Olivier Leseur, volontaire d’À nous la démocratie !