Pourquoi commente-t-on si volontiers les référendums quand ce sont les options les plus contestables qui l’emportent ? Pourquoi cette passion française pour la décision prise par les Suisses contre les minarets tandis qu’on passera sous silence ceux de leurs choix qui font progresser l’égalité ? Pourquoi, par exemple, aucune personnalité politique ne s’est exprimée en France sur le fait qu’il y a quelques jours une grande majorité des Suisses a répondu positivement au référendum proposant que soit facilitée l’accession à la nationalité des descendants d’immigrés ?
C’est bien le peuple qui, indépendamment de certains décideurs, a choisi, à l’heure où les immigrés sont plus que jamais accusés des pires crimes, de faciliter l’accès de descendants d’étrangers à la nationalité dans un pays où celle-ci se transmet par le sang. Voilà qui est difficile à comprendre pour les élites qui s’imaginent toujours avoir à indiquer la marche à suivre au pauvre peuple sans eux perdu.
A l’inverse, c’est François Hollande seul qui a proposé la déchéance de nationalité, quelques mois seulement après avoir agité avec toute la gauche, pour la énième fois depuis 1982, la vaine promesse du vote des étrangers aux élections locales. Quelle trajectoire ! Le peuple suisse se sera donc montré plus généreux que le plus haut représentant français. Un peuple plus généreux que ses représentants, ce fut aussi le cas, parmi d’autres référendums passés sous silence en France, en Italie lors du référendum de 2011 portant sur la privatisation de l’eau, largement refusée par les Italiens après bien des efforts menés par des mouvements citoyens pour le voir enfin inscrit à l’agenda politique.
Le peuple se montre fréquemment plus humain que ses dirigeants : ces choses-là ne sont pas bonnes à dire (ou à entendre). Car, pour justifier l’existence de nos chefs, il faut que nous passions pour un monstre aveugle et cruel. Au-delà de l’intérêt qu’ils retirent pour eux-mêmes de cette mythologie, il y a quelques beaux esprits pour se figurer sincèrement qu’il faut faire notre bien sans nous, quelquefois malgré nous. Ainsi de ces politiques qui affirment, je crois, de bonne foi, qu’il ne faut pas prélever l’impôt à la source car beaucoup penseraient alors que notre salaire aura diminué… Ainsi de Gilles Carrez, déclarant récemment qu’ « il n’est pas question de prendre le risque de voir descendre dans la rue, en janvier 2018, des milliers de contribuables en colère parce que leur salaire est directement amputé par les impôts ». C’est dire tout le respect de certains politiques pour l’intelligence du Français moyen…
Cette bête méchante que serait le peuple aurait donc besoin de guides ; d’où vient que les politiques parlent de la défiance comme d’une question vitale au sens propre du mot. Ce qu’ils réclament en vérité, c’est que l’on tourne des yeux admiratifs vers eux, surtout pas que l’on s’avise de faire le boulot à leur place. Ce qui ne va pas pour eux, c’est la défiance envers les Maîtres, non pas celle des citoyens entre eux, qui est le vrai problème. Pourtant, si nous nous aimions davantage nous-mêmes et nous faisions plus confiance entre nous, nous pourrions édifier quelque chose de bien mieux que le paysage déprimant actuel.
La charge de la preuve incombe ainsi à celui qui s’oppose à la pratique du référendum, non pas à celui qui le prône. S’il y regarde bien, c’est-à-dire au-delà d’une propagande plus ou moins consciente qui ne laisse filtrer de la réalité référendaire que les décisions les plus discutables, et plongeant dans l’oubli, avec une constance sidérante, ses positions plus généreuses, comme encore en Irlande il y a peu sur le mariage gay voté avec une majorité écrasante, il aura contre lui l’expérience, toujours convaincante lorsque la question est bien posée parce qu’alors le peuple dit ce qu’il a à dire—que cela plaise ou non. Surtout, l’adversaire de la prise de parole directe du peuple aura contre lui les principes : l’idéal de la démocratie, ce ne sont pas les représentants, ce ne sont pas les maîtres disant que ceci est bon ou mauvais parce qu’eux le pensent, ce n’est pas cette forme dégradée de la liberté collective qu’est le chèque en blanc du vote intermittent, mais bien le peuple s’exprimant pour lui-même directement. Et en démocratie, il faudrait cheminer vers cet idéal-là.
Matthieu Niango, le 14 mars 2017.