Aujourd’hui plus que jamais, on peut, comme l’a fait Michel Foucault il y a 40 ans dans un très beau cours au Collège de France, inverser la formule du général Von Clausewitz : « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » et affirmer que « la politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens » : il s’agit d’écraser l’adversaire par des moyens non plus physiques mais institutionnels et rhétoriques. Ainsi, le contraste est-il flagrant entre le besoin d’apaisement de notre société, tiraillée par la peur de l’autre, et la geste guerrière de nos dirigeants politiques, en principe garants de la sérénité publique.

 Leur lexique lui-même est guerrier : les candidats, des conquérants, partent en « campagne », multiplient les « passes d’armes », font des déclarations depuis leur « quartier général », situé dans leur « fief » électoral (tels des seigneurs guerroyant) où se réunissent « leurs forces » et leurs « militants » (du latin miles : le soldat). Une fois au « pouvoir », le « camp » victorieux fera ce qu’il veut face à une opposition réduite au silence par le fonctionnement d’une Constitution d’essence autoritaire – même si cette opposition revancharde continuera, en vue de l’alternance, de s’agiter dans l’hémicycle ou dans les médias pour critiquer ce que fera la majorité en place.
Le plus drôle, c’est de voir les vainqueurs en appeler, la main sur le cœur, à l’unité après avoir laminé, non les idées, mais les personnes qui leur faisaient barrage ; de les voir réclamer le rassemblement et la paix après avoir hystérisé le débat dans l’unique perspective de l’emporter. On ne voit pas bien comment, par exemple, au lendemain de la primaire de gauche, les défaits du PS pourront s’allier avec ceux de l’aile adverse, si ce n’est par ce genre de petits calculs qui accélèrent la fin prochaine de la classe politique. Et que dira le vainqueur – ou la vainqueure – de l’élection présidentielle à son adversaire ? Comme toujours, qu’il faut se rassembler. On voit que ce ne sera pas possible.

La violence est d’autant plus grande que les idées des candidats mais aussi leurs personnalités sont voisines. Comme s’il fallait souligner avec emphase ce qui, sinon, passerait inaperçu. Voyez Emmanuel Macron, prétendu candidat de l’antisystème, critiquer l’ordre établi libéral dont il a pourtant été, en tant que conseiller à l’Elysée puis ministre de l’Economie, un fervent artisan. Voyez son lieutenant Gérard Collomb, l’éternel maire de Lyon, s’en prendre avec virulence à la droite, tout en dénonçant, dans des termes très proches de ceux déjà employés par Jean-François Copé, l’afflux de mauvais (entendez : « de pauvres », entendez : « de gens qui gagnent moins de 4000 euros par mois », entendez : « de l’immense majorité des Français ») au cas où perdureraient les sanctions en cas d’absentéisme au Sénat. Voyez ces frères ennemis —au moins pour la galerie.

Le plus grave, c’est que les citoyens sont, eux aussi, pendant toute la durée des mandats, soumis au diktat du vainqueur et au feu de réformes menées sans leur avis, voire contre lui. François Fillon n’a pas hésité à déclarer qu’il mènerait une véritable guerre à tous ses opposants, politiques ou citoyens, en cas de victoire de sa personne. Il a même qualifié cette généreuse intention de « blitzkrieg » : guerre éclair – une expression forgée pour désigner l’invasion de l’Europe par le régime nazi… pas mal pour un prétendant à la présidence de la République française.

Dans une démocratie véritable, une seule opposition véhémente, passionnée et clivante devrait être permise : celle qui mettrait directement les citoyens aux prises, non des hommes, mais des idées. Et encore ne devrait-il s’agir que d’une opposition d’un moment entre des adversaires d’un moment, et reprenant leur liberté une fois la bataille terminée. A chaque débat, l’effort serait à renouveler, sans que les citoyens ne se raidissent ni ne se fassent violence pour ce qu’ils sont, sans qu’ils soient figés dans un camp par une confrontation d’intérêts coagulés, cristallisés par la seule ambition d’un prétendu Sauveur et de ses obligés.

Mais avant cela, pour qu’un tel débat soit possible, il faudra faire, si l’on peut dire, la guerre à la guerre – c’est-à-dire à la politique professionnelle, qui a confisqué les moyens d’agir collectifs. C’est là, pour notre démocratie et pour notre pays, l’enjeu fondamental des années à venir.

Deuxième tribune de Matthieu Niango sur le Huffington Post publiée le 17 janvier 2017.

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