La politique, ou « art de rendre possible le nécessaire »(Richelieu), est présente dans le Manifeste d’ANLD!, lequel combine 3 objectifs.
Premièrement « ne pas attendre le pire pour agir », ce qui est très « politique » : on se préoccupe des défis, des fins, du « nécessaire ». En second lieu, l’objectif démocratique « pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple ».
Enfin l’objectif d’accomplissement des citoyens : « agir en citoyens adultes », qui peut être considéré comme une fin en soi. Suivent dans ce manifeste 6 propositions de réformes institutionnelles.
La question qui peut alors se poser, si on se préoccupe des fins (donc de la politique), c’est : est-ce qu’il ne faut pas rechercher les formes démocratiques à même de traiter au mieux ces fins ? Dit autrement, est-ce qu’il ne faut pas rapporter nos propositions à cette dimension politique ? Est-ce qu’améliorer les seules règles institutionnelles suffit ? Est-ce que nos 6 propositions suffisent au traitement des défis politiques ?
La politique c’est effectivement le traitement des défis, ceux du présent et ceux du futur. Cela invite à ne pas juger la légitimité sur les seuls critères formels, de droit, etc.
L’accent mis sur la démocratie, et la confiance mise dans la délibération, devraient s’accompagner d’une forte conscience de la dimension politique :
– qui n’est pas toujours réductible par la délibération : il y a des divergences, d’intérêts, de valeurs, de visions, etc.,
– qui comporte des aspects tragiques, des conflits, des risques mortels pour les personnes, les nations, les civilisations, etc. Ainsi la défaite militaire a des conséquences fortes et durables. En période de paix il est difficile d’avoir toujours à l’esprit ces dimensions, qui réclament pourtant de l’anticipation,
– qui, par son caractère implacable, justifie que l’on recherche, dans l’exercice démocratique, les conditions propres à assurer les meilleures décisions possibles : les législateurs, les décideurs, les administrateurs doivent être sélectionnés dans ce but. Ce qui ne signifie pas qu’ils appartiennent aux élites (qui n’ont pas manqué d’être défaillantes dans les situations de crise),
– qui invite à ce que, dans les choix, l’attention portée aux intentions soit seconde, la priorité étant donnée aux impacts, or nous débattons surtout à partir d’intentions, de projets, etc.
– alors même que dans les exercices démocratiques, l’attention est parfois monopolisée de façon démesurée par certains sujets (ex mariage homosexuel qui a occupé, au moins médiatiquement, la moitié du quinquennat de Hollande, etc.),… et, comme l’écrit Simone Weil, « les collectivités ne pensent point ».
Si la priorité collective est de traiter les défis majeurs, donc de faire de la politique, on peut dire que la démocratie ne vaut que parce qu’elle sert la politique, elle est, sous cet angle, réductible à un instrument, parmi d’autres. Il y a fort à parier que ceux qui jugeront nos décisions présentes dans 50 ans s’attacheront à considérer la pertinence de ces décisions au regard de leurs conséquences pour leur propre époque, et non leur excellence démocratique.
L’Histoire et ses périodes les plus cruciales montrent que la légitimité des décisions ne peut bien souvent être appréciée, réellement et profondément, qu’a posteriori. La légitimité des décisions relatives à l’environnement, à la crise sanitaire, à la défaite de 40, etc. n’est mesurable qu’après coup, avec des appréciations qui peuvent d’ailleurs être variables et évolutives. Et dans les périodes critiques, heurtées, au cours des défis nouveaux se présentent, le discernement n’est pas toujours lié au respect des processus institutionnels. Lesquelles périodes appellent sans doute des modes démocratiques spécifiques. Ce qu’essaie de prévoir notre Constitution (article 16).
Nous devons donc être exigeants à l’égard de la démocratie, comme nous le faisons ensemble, mais aussi être exigeants à l’égard de la politique, en considérant que ce sont 2 ordres qui ne se superposent pas toujours.Le traitement des défis, ceux du présent et ceux du futur, requiert certes de belles formes démocratiques… mais aussi des efforts pionniers, solitaires, de l’imagination, de la culture, des efforts de pensée, des intuitions stratégiques, de la tactique et de la prise de risque, parfois aussi de la révolte, de la désobéissance civile, de la violence (Il serait intéressant de considérer les évolutions collectives majeures, et de repérer la place de la démocratie dans les décisions correspondantes…).
Ces caractéristiques sont remarquables chez les leaders, confrontés à des défis politiques extrêmes et fort complexes : de Gaulle, Mandela, Péguy, ou Lincoln, etc. les ont illustrées. Elles imprègnent les mythologies nationales (Jeanne d’Arc, etc.) Les leaders ne réussissent pas seuls, ils trouvent des alliés, et particulièrement dans la population – les institutions sont souvent, par nature, conservatrices.
Les capacités individuelles, l’esprit critique, les vertus des personnes constituent alors des ressources quand guettent les réflexes grégaires, le conformisme, les modes, le fatalisme, les ressentiments, …
Si la démocratie est réduite ici à un outil, ce qui est naturellement excessif, il n’en demeure pas moins qu’elle peut être une ressource irremplaçable pour la politique.
La démocratie, la délibération ouverte et éclairée, l’évaluation et le renouvellement des autorités, le fait qu’aucune catégorie sociale n’en soit exclue, tout cela concourt à sélectionner et à challenger les propositions, donc à améliorer les décisions, ainsi qu’à réduire les ressentiments et les morcellements qui sont eux-mêmes des défis cruciaux de notre société.
Nous pouvons à la fois être exigeants -et pionniers- en matière de démocratie et, par exemple, considérer aussi les conditions sociales, éducatives, culturelles, institutionnelles, etc. propres à favoriser les tâtonnements, intuitions et discernements individuels.
Il semble qu’une orientation souhaitable pourrait être une combinaison du type « un maximum de démocratie et une éducation de qualité pour tous les citoyens (savoir fondamentaux, histoire, etc.), une préparation au débat, à la délibération, etc. ». (« Vous prétendez fabriquer directement l’avenir, nous fabriquons l’homme qui fabriquera l’avenir, l’éclairons, le libérons » – Clemenceau s’adressant à Jaurès ).
Dans la catégorie « un maximum de démocratie », une suggestion : ne pas hésiter à partager les questions sensibles avec l’ensemble de la population. On déplore la faible participations des catégories populaires aux exercices démocratiques, mais on lui refuse de débattre des questions qui leurs sont les plus sensibles (et qui sont généralement des questions cruciales et de long terme !), par exemple la question des migrations ( par crainte que le peuple ne prenne des orientations contraires aux standards médiatiques du moment). Ce faisant, on entretient la désaffection démocratique, d’une part, et, d’autre part, cette absence de débat partagé laisse toute place aux dénis et énoncés émotionnels, dont on peut pourtant penser qu’ils sont les plus à même de faire prévaloir les positions extrémistes).
André Jaunay
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