L’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, et actuelle dirigeante du FMI, comparaît ces jours-ci devant la Cour de justice de la République, accusée de légèretés et de négligences dans le règlement de l’affaire Tapie. Pour résumer, Christine Lagarde avait donné, en 2008, son accord pour la résolution de cette affaire par un tribunal arbitral, c’est-à-dire un tribunal privé. Celui-ci avait prononcé un jugement qui ordonnait à l’organisme en charge de la liquidation du passif du Crédit Lyonnais, de verser 405 millions d’euros à Bernard Tapie, sympathique homme d’affaires dont les amis étaient encore nombreux alors dans la classe politique, à commencer par le directeur de cabinet de Christine Lagarde. Cet arbitrage a été cassé en 2015, mais l’affaire n’est pas close pour autant.
Il y a lieu de penser que l’ancienne ministre a fermé les yeux sur un arbitrage qui permettait à des proches de Bernard Tapie de s’enrichir grassement aux frais du contribuable (le passif du Crédit Lyonnais a été soldé par un organisme financé publiquement). De prime abord, il paraît donc juste que Mme Lagarde s’en explique devant un tribunal. Oui, mais… nous parlons ici de la Cour de justice de la République, une instance qui symbolise à elle seule la dégénérescence d’un système politique incapable de traiter lui-même ses manquements. La CJR est la juridiction qui a relaxé Charles Pasqua des principaux chefs d’accusation qui pesaient sur lui, qui a relaxé Ségolène Royal, poursuivie en diffamation, qui a instruit 15 procédures sur 1124 plaintes déposées par des particuliers en vingt-trois ans, dont 5 seulement ont fait l’objet d’un jugement.
Cette inefficacité n’en est pas une : par sa construction même, la CJR ne peut que montrer une bienveillance malsaine vis-à-vis des responsables politiques. Composée de douze parlementaires élus et de trois magistrats du siège à la Cour de cassation, c’est une institution d’exception dont l’objet est précisément de protéger les responsables politiques de la justice ordinaire.
Un dernier aspect de l’affaire Lagarde est tristement révélateur : l’ancienne ministre est loin d’être la seule à avoir pris ces décisions si coûteuses et si scandaleuses. Claude Guéant, Jean-Louis Borloo, Thierry Breton, François Pérol et Nicolas Sarkozy lui-même devraient être appelés à la barre, si toutefois la justice d’exception n’y faisait pas obstacle. Rendront-ils des comptes un jour ? Il est permis d’en douter.
Face à ce scandale politique, A nous la démocratie ! propose la suppression de la CJR, et son remplacement par une cour spéciale indépendante, composée de magistrats et de citoyens, tous choisis par tirage au sort. La création de cette cour permet d’abolir la justice à deux vitesses pour les responsables nationaux, de faire respecter l’universalité des règles de droit et le bon usage des finances publiques.
Mise à jour du 19 décembre : la Cour a bien reconnu Christine Lagarde coupable de « négligence », mais… l’a dispensée de peine ! Une indulgence scandaleuse, qui donne raison (piètre consolation) à notre titre initial et prouve une fois de plus à quel point la CJR est une mascarade de justice, qui alimente le ressentiment populaire contre les petits arrangements entre amis.