Covid-19 dans les banlieues : les misérables de la République ou la miséricorde du gouvernement

Gare de Gares-Sarcelles (crédit : Wikipédia)

Merci, Monsieur le secrétaire d’État à l’Intérieur, pour votre analyse clairvoyante de la situation en banlieue que le Canard enchaîné a eu la gentillesse de publier ce 25 mars 2020 : « Ce n’est pas une priorité que de faire respecter dans les quartiers les fermetures de commerces et de faire cesser les rassemblements ».

Pour vous, faire respecter les mesures de confinement « dans les quartiers » n’est « pas une priorité ». Comment les habitant.e.s qui vivent dans ces quartiers sont censés le prendre ?

Vos paroles démontrent bien toute la grâce que vous leur destinez.

Rassurez-vous, ils ne se considèrent absolument pas comme des sous-hommes à l’image de leurs aïeux d’ailleurs qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, ont servi pourtant de chair à canon pour blanchir la victoire de la France, leur pays.

Je vous rappelle que ces « gens » (dont au moins 2 personnes sur 5, soit 40% de la population ) en France) : 

1) sont issues de l’immigration sur trois générations [1] 

2) et que la majorité de leurs grands-parents (d’origine maghrébine, africaine, subsaharienne, portugaise, espagnole…) a fait la Seconde Guerre mondiale sous les couleurs tricolores pour vous permettre aujourd’hui de prendre des décisions, malheureusement pas à la hauteur de leur sacrifice.

À vous entendre, vous seul avec vos quelques préfets connaissaient le sens des priorités. Comme vos prédécesseurs de l’époque d’ailleurs qui avaient décidé que nos aïeux seraient placés en première ligne face à l’ennemi nazi. Peut-être parce qu’ils n’étaient pas une priorité…Quelle honte !

Monsieur Nuñez, ne cherchez pas à concentrer dans la banlieue tous les maux de la société et ne construisez pas votre pensée qu’à travers le prisme de la ségrégation et la stigmatisation.


Victor Hugo a écrit Les Misérables pour décrire une société malade qui n’avait que faire de la vie de pauvres gens. Et bien que je n’apprécie pas l’auteur pour ses autres positions, appréciez au moins ses idéaux concernant la nature humaine. Sinon, je peux également vous conseiller sa version cinématographique, plus moderne, réalisée par le banlieusard Ladj Ly et primée des plus hautes distinctions aussi bien aux César qu’au festival de Cannes.

Et pas de panique, dans les deux versions, nous restons en banlieue, à Montfermeil ! Vous y trouverez bien votre compte. Enfin, sans vouloir vous spoiler ce film patriote qui parle d’une France multiculturelle, le réalisateur a choisi de terminer son film tourné, chez lui, par cette citation : « Il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs » [2]. Alors, prenez-en de la graine Monsieur le représentant de l’État.

À moins que je n’ai pas bien saisi le sens de vos propos relatés dans le palmipède du 25 mars 2020 qui a eu accès « à un compte-rendu d’une visioconférence tenue le 18 mars et réunissant Beauvau et des préfets…au lendemain du début des opérations de confinement sur le territoire ».

Selon votre propre expression, vous avez souligné la volonté du gouvernement de ne pas froisser les populations vivant « dans les quartiers ». Monsieur le secrétaire d’État, je n’y étais pas ! Pardonnez mon manque de lucidité. Je suis même tout gêné du quiproquo, d’autant que deux de vos préfets avaient précisé leur pensée. Suis-je bête.

Le premier préfet de la zone Sud-Est aurait précisé qu’« il ne fallait pas mettre le feu aux banlieues en essayant d’instaurer un strict confinement », selon les mots du journal qui résume ainsi la réaction du préfet. Le deuxième, du Nord cette fois, aurait pour sa part affirmé, que les commerces de nuit dans ces secteurs « exercent une forme de médiation sociale».

Alors là, je ne peux que me prosterner devant votre indulgence.

J’implore presque votre pitié pour que vous nous sauviez du mal qui nous guette. J’invoque même uniquement la miséricorde du gouvernement. Car, à quoi bon implorer celle du divin puisque le virus a commencé à se propager en Alsace à la suite d’une grande réunion évangélique.

Bref, pour nous, habitant.e.s de la banlieue, c’est le confinement allégé dont nous avons besoin si j’ai bien compris. Je n’ose exploser ma joie par décence pour les habitant.e.s de la ville. Je contiens mon « Youpi » sans trop y résister. Comment vous remercier ?

Monsieur le secrétaire d’État, je n’aimerais pas que ce scénario se produise et vous le savez très bien au vu des hôpitaux surchargés de malades du Covid-19. Depuis hier, il n’y a même plus aucune place de disponible dans les hôpitaux du 9-3 et nous venons d’apprendre que trois maires de ce département sont hospitalisés et que deux élus sont décédés.

Par contre, il y a toujours quelque chose que je n’arrive pas bien encore à saisir. On constate une augmentation fulgurante des amendes dressées dans le département de la Seine-Saint-Denis depuis le début du confinement. Alors, quel lien y a-t-il entre le confinement allégé que vous préconisez et l’explosion du nombre de ces contraventions en banlieue ?

Attendez, ne me donnez pas la réponse tout de suite, je réfléchis quelques instants…Ben oui, « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux ». Autrement dit, je tends bien la joue gauche et si je l’ai bien tendue, il me reste qu’à re-tendre la joue droite ! Pour nous, c’est confinement allégé mais sanctions alourdies. C’est bien ça votre jeu ?

Si vous ne voulez pas me donner la réponse Monsieur Nuñez, aidez-moi au moins à choisir le bon côté de la joue à tendre en premier car le gouvernement étant « en marche », on s’y perd un peu entre la droite et la gauche.

Plus sérieusement, je vais vous aider à retrouver la raison. Pour redonner l’espoir aux jeunes générations au lieu de les rabaisser.

N’oubliez pas que l’histoire de la banlieue a été associée à celle des grands projets urbanistiques et à la politique de l’après-guerre. Notre pays a fait appel à des populations migrantes qui ont gonflé et contribué à façonner positivement les banlieues. La banlieue est devenue un prolongement d’un centre et non une marge, voire un espace de relégation. N’est-ce pas là toute la philosophie du Grand Paris qui est censé abolir la notion de périphérie ?

On a toujours considéré la banlieue comme un village, un cadre aux dimensions acceptables pour expérimenter et permettre la reconstitution des familles contrairement à la ville difficile à appréhender par la volatilité de sa population. Sans vouloir opposer ces deux modes de vie, et conscient de ses travers, je veux promouvoir les qualités des quartiers populaires, en particulier celui des « Rosiers » où j’ai grandi pendant plus de trente ans, à Sarcelles.

C’est une ville multiethnique, multiculturelle, humaine, heureuse, symbole du vivre-ensemble. Nous ne connaissons pas l’individualisme et le repli sur soi, c’est le partage et le don de soi qui font foi. Tout le monde se connaît, les habitant.e.s vivent comme dans un village où toutes les familles partagent une part de leur identité. Ainsi, dans l’immeuble de mes parents, leurs amis maliens viennent à la maison partager un couscous algérien quand leurs voisins marocains accueillent chez eux les petits-enfants du voisinage autour d’un thé vert à la menthe. Chacun offre son aide et comme c’est inscrit dans l’ADN des quartiers populaires depuis le commencement, ils deviennent un rempart à la maladie du chacun pour soi.

Dans cette crise sanitaire du coronavirus, sans précédent depuis un siècle, que traverse notre pays, nous avons justement besoin de comportements exemplaires à l’instar de ceux de ces nobles gens (et non pauvres gens), qui s’assoient sur votre miséricorde mal placée.

Sachez que des initiatives individuelles, voire collectives comme celle lancée récemment par le maire de Sarcelles sur le réseau social Facebook, à savoir la création du groupe « Entraide Sarcelles Coronavirus » pour venir en aide des plus démunis, démontrent la solidarité intacte dans nos quartiers.

Monsieur le secrétaire d’État de l’Intérieur, c’est en tenant de tels propos que vous risquez d’allumer le feu comme le chantait encore Johnny Halliday après avoir, peut-être, prédit les émeutes de 2005 dans son titre Génération Banlieue signé en 1984 : « ma banlieue va exploser ».

N’allumez pas la mèche. Aujourd’hui, plus que jamais, soyons plus fraternels, c’est-à-dire juste humains.

[1] « Quelle est la part de l’immigration dans la démographie française ? », La Croix, 21 février 2018.

[2] Citation extraite des Misérables (1862) de Victor Hugo.


Sarcelles, le 27 mars 2020.

Adhal BARA

Candidat À Nous La démocratie ! sur la liste municipale Réussir Sarcelles Ensemble en 3ème position