Brèves considérations politiques dans le sillage du Consentement de Vanessa Springora

Décrivant courageusement son adolescence meurtrie par l’écrivain alors âgé d’une cinquantaine d’années -Gabriel Matzneff- le livre Le Consentement de Vanessa Springora est parvenu à donner au mouvement #metoo une ampleur inédite en France. La description poignante et sans fard des mécanismes de l’emprise d’un homme adulte sur une très jeune femme a déclenché une prise de conscience sinon collective, du moins individuelle (c’est à dire la mienne) de ce qu’est encore la condition féminine aujourd’hui, avec son lot de soumission et d’avanies.
Sartre dit quelque part : « L’écrivain présente à la société son image, il la somme de l’assumer ou de se changer. Et de toute façon, elle change : elle perd l’équilibre que lui donnait l’ignorance. » L’écho rencontré par Le consentement donne raison à Sartre. Vanessa Springora bouscule les mentalités, donne au combat féministe une portée universelle par son succès en ce sens que nul (femme ou homme) ne peut plus dire je ne savais pas, et contribue même à modifier la loi. J’y reviendrai.
Il est en effet souvent reproché aux luttes contre les discriminations leur caractère communautaire, enfermant et exclusif :
Je lutte pour ma communauté, celle des noirs.es de peau, celle des homosexuels.les, etc.. Toi qui n’es pas noir, homo, etc. tu ne parviendras jamais à comprendre ce que je subis. Exclusion donc.
Mais il faut noter à leur crédit que l’émergence puis le succès de ces luttes vient d’abord de leur caractère inclusif : Rejeté.e en raison d’une couleur de peau ou d’une orientation sexuelle, je me dirige vers celles et ceux qui m’acceptent ; la communauté comme refuge protecteur contre l’agression. Inclusion exclusive ou exclusion inclusive. La vérité se situe quelque part entre deux en fonction de l’histoire propre à chaque mouvement.
Je crois toutefois que cette contradiction n’est pas insurmontable ; et ces luttes passent vraiment un cap lorsqu’elles démontrent leur caractère universel : Il ne s’agit pas seulement de mon combat mais du tien aussi.
Réécoutons le superbe discours du 6 août 1963 de Martin Luther King :
« Le militantisme merveilleux qui a pris la communauté noire ne doit pas nous amener à nous méfier de tous les Blancs, puisque beaucoup de nos frères Blancs, on le voit par leur présence ici aujourd’hui, se sont rendus compte que leur destin est lié au nôtre, et que leur liberté dépend étroitement de la nôtre. Nous ne pouvons marcher seuls.»
King s’adresse à tous, aux noirs comme aux blancs, il dépasse le simple cadre de la communauté dans laquelle on voulait d’ailleurs l’enfermer.
Même commentaire pour cette phrase que je ne peux lire sans frémir :
« J’ai fait un rêve, qu’un jour, sur les collines de terre rousses de la Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d’esclaves pourront s’asseoir ensemble à la table de la fraternité. »
Une bascule semblable se fait avec le mouvement #metoo.
La lecture du Consentement a fait de nous, ou du moins de moi, des féministes. Par le truchement du récit -sous forme de roman- de l’injustice, de la violence subie par Vanessa Springora. Par le truchement de l’émotion véhiculée par l’art. Vanessa Springora s’adresse certes à toutes mais aussi à tous.
Atteinte de l’universel par le particulier.
Ainsi du terme de consentement devenu central dans le débat public, que le militant de la démocratie directe que je suis, veut également universaliser, et ce sera là l’objet de mon propos.
Je m’explique.
Le consentement est principalement entendu dans le champ de la sexualité. Dans l’ouvrage de Springora, il s’agit de l’absence insupportable de consentement à la relation sexuelle entre une adolescente de 14 ans sous l’emprise d’un écrivain en vue quinquagénaire.
Mais c’est aussi une notion fondamentale du champ politique, en particulier de la théorie du contrat social.
Le parallèle entre ces 2 usages du terme est très fécond, notamment par la distinction de John Locke fait de du consentement tacite et du consentement exprès, j’y reviendrai.
Je crois que le mouvement #metoo se prévaut de la seconde acception, selon laquelle il ne peut y avoir de relation sexuelle qu’expressément consentie. Et c’est cette intransigeance que je veux étendre à la politique, selon le raisonnement développé dans le court texte qui suit.
Généalogie du consentement : l’apparition du terme dans la pensée politique du XVIIIème siècle
L’une des leçons les plus marquantes de l’ouvrage Les principes du gouvernement représentatif de Bernard Manin, provient de son travail de caractérisation du régime démocratique. On apprend ainsi que jusqu’au XVIIIème siècle, la désignation des décideurs politiques (appelés magistrats) par voie élective était sans ambiguïté synonyme d’aristocratie, tandis que la désignation par tirage au sort s’apparentait à la démocratie.
Puis une bascule théorique s’effectue alors, par le truchement de l’émergence de la notion de consentement sur laquelle s’appuie John Locke, afin d’élaborer sa conception de la société civile, appelée à la suite de l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau, contrat social.
S’appuyant sur la théorie du droit naturel, Locke reprend à nouveaux frais la généalogie des sociétés humaines, pour mieux rejeter le régime figé et hiérarchisé de la monarchie prétendument issu de la volonté divine. Selon lui, une société composée d’individus doués de raison, libres et égaux ne peut être que le fruit d’une convention mutuelle :
« Les hommes, ainsi qu’il a été dit, étant tous naturellement libres, égaux et indépendants, nul ne peut être tiré de cet état, et être soumis au pouvoir politique d’autrui, sans son propre consentement, par lequel il peut convenir, avec d’autres hommes, de se joindre et s’unir en société pour leur conservation, pour leur sûreté mutuelle, pour la tranquillité de leur vie, pour jouir paisiblement de ce qui leur appartient en propre, et être mieux à l’abri des insultes de ceux qui voudraient leur nuire et leur faire du mal. »1
Plus loin
« Ainsi, chaque particulier convenant avec les autres de faire un corps politique, sous un certain gouvernement, s’oblige envers chaque membre de cette société, de se soumettre à ce qui aura été déterminé par le plus grand nombre, et d’y consentir »2
On pourrait résumer ainsi : les hommes -indépendants, libres et égaux- quittent l’état de nature pour vivre en société sur la base d’une convention par laquelle ils consentent à déléguer leur pouvoir.
L’élection prend alors l’ascendant sur le tirage au sort, nous explique Manin3, pour incarner en peu de temps l’essence de la démocratie contemporaine en opposition à la monarchie dynastique : la légitimité de l’élu paraît d’autant mieux fondée qu’elle est issue d’une élection. Celle-ci résulte en effet de la volonté d’individus pensant, du consentement de citoyens-électeurs, tandis que le tirage au sort, fruit du hasard, ne suppose aucune activité réflexive. Autrement dit, la source du pouvoir provient du consentement, mais ce faisant, elle éloigne déjà et pour longtemps les citoyens et citoyennes ordinaires de l’exercice du pouvoir.
Ce serait la force de cet argument qui conduit les principaux penseurs à écarter le tirage au sort -pourtant central dans l’antique Athènes et les républiques italiennes (notamment Florence et Venise) des XI et XIIèmes siècles – comme processus de sélection des gouvernants d’un régime démocratique.

Le consentement appliqué : le consentement à l’impôt en droit
Cette notion de consentement au pouvoir imprègne si bien l’esprit des hommes politiques d’alors qu’on la retrouve en droit, dans la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, sous la notion de consentement à l’impôt . L’article 14 dispose que : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».
Les citoyens consentent librement à la contribution publique, entendez par là, l’impôt.
Cela laisse songeur, dans le contexte qui est le nôtre : crise des gilets jaunes enflammée par la hausse de la taxe carbone ; crise de l’agriculture en réaction à la hausse du carburant agricole.
Déjà en 1789, moins de 2 mois avant la rédaction de la fameuse Déclaration, l’émeute urbaine s’en prend du 10 au 12 juillet aux majestueuses barrières de l’octroi dont le pouvoir royal avait jugé bon de ceindre la Capitale, quelques années plus tôt dans le but d’alimenter un « Trésor » déjà exsangue.
Bien avisé -ou bien apeuré ? – par ces évènements, le législateur de 1789 intègre donc cette notion de consentement à l’impôt au nouveau droit républicain.
Toutefois, force est de constater qu’il s’agira toujours d’un consentement très relatif, en ce sens que le citoyen ne constate jamais de lui-même la nécessité de la contribution publique mais toujours par l’intermédiation de ses représentants, qui ne se sont pas vraiment empressés de la rendre plus juste ;
puisque le premier impôt qui lia proportionnellement le montant à payer avec la fortune personnelle fut seulement créé en 1914, sous le nom d’impôt sur le revenu.
En réalité, si on ne se paye pas de mot, on ne consent pas à l’impôt, on le subit, bien vite rappelé à l’ordre par l’administration fiscale, si d’aventure on venait à se montrer laxiste en la matière.
Mieux vaudrait parler d’absence de rejet par la population.
Les autorités publiques font ce que bon leur semble, réduisent tel impôt, accordent complaisamment des largesses aux puissants, augmentent tel autre impôt jusqu’au jour où une révolte fiscale éclate suffisamment fort pour faire trembler le pouvoir et l’obliger à revenir en arrière.
L’article 14 décrirait mieux la réalité, s’il était rédigé ainsi :
« Les représentants constatent la nécessité de la contribution publique en lieu et place des citoyens, sauf en cas d’émeute populaire, auquel cas, ils déferont ce qu’ils ont mal fait auparavant. »
L’usage même du terme de consentement en matière fiscale ne paraît pas seulement excessif, mais inapproprié.
Réémergence dans le champ sexuel de la notion de consentement : l’apport féministe
Le mouvement #metoo a émergé sur les réseaux sociaux suite aux multiples révélations de comportements choquants de la part d’hommes puissants envers des femmes, à commencer par l’affaire Weinstein.
Puis il a gagné en consistance par l’expression artistique d’anciennes victimes d’agressions, d’abus sexuels, dont le récit de Vanessa Springora.
Ce n’est pas nouveau, l’art rend plus sensible l’expérience d’autrui que la réalité.
Il en est ainsi de la 2nde guerre mondiale et de son lot d’horreurs. Qui n’a pas éprouver une coupable lassitude au visionnage de documentaires historiques d’ARTE, pourtant indispensables ?
Puis un jour, on ouvre Les Bienveillantes de Jonathan Littel, et on se laisse happé par le récit, imaginaire certes mais très documenté, d’un bourreau du IIIème Reich emporté dans l’invasion de l’Europe de l’Est au début des années 1940 et relatant la mise en place épouvantable et brouillonne de la solution finale.
On mesure alors enfin toute la folie meurtrière qui s’est emparée de l’Europe durant ces heures sombres.
A la lecture du seul titre du roman de Vanessa Springora, on s’attendrait à lire un essai, susceptible d’interroger le lecteur contemporain sur les rapports hommes/femmes pris sous le prisme de la sexualité. Mais il s’agit d’un récit auto-biographique glaçant de la prédation sexuelle et de l’emprise d’un écrivain en vogue sur une jeune fille et des dommages notamment psychologiques qui en résultent.
Ce faisant, elle ne donne pas de définition du mot consentement, mais invite plus subtilement le lecteur à repenser lui-même la relation amoureuse fondée sur le respect de la volonté, du désir mais aussi du temps de l’enfance et de l’adolescence, à l’aune de cette lecture bouleversante.
Quant à moi qui ne suis pas écrivain, je vais tenter de préciser un peu les termes du débat : pour qu’il y ait consentement à l’acte sexuel, il faut avoir atteint un degré certain de maturité, être en pleine possession de ses facultés intellectuelles, ce qui n’est pas le cas lorsqu’on est mineur.
D’ailleurs la loi précise désormais qu’aucun adulte ne peut se prévaloir du consentement sexuel d’un enfant s’il a moins de 15 ans, sauf si la différence d’âge entre le mineur et l’adulte ne dépasse pas 5 ans.
Cela peut paraître banal mais à l’aune de siècles de domination masculine, c’est immense :
Il ne peut y avoir de relation sexuelle sans consentement mutuel.
Mais que cela signifie-t-il concrètement ?
Faut-il que l’autre prononce un OUI clair et distinct ?
Toute relation sexuelle doit-elle se précéder de ces paroles :
- Veux-tu coucher avec moi ?
- Oui
Faut-il certifier le consentement via une appli ?
Qu’advient-il de la spontanéité ?

C’est en défense de la séduction, de la drague qu’une centaine de femmes – dont Catherine Deneuve et Catherine Millet – co-signèrent la tribune « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle » en janvier 2018 suivie d’un débat public assez électrique.
La tribune reproche au mouvement #metoo son intransigeance. Ne risque-t-on pas de voir disparaître le romantisme de deux corps qui s’attirent, se cherchent, se veulent, sans que pour autant il y ait à exprimer à voix haute l’envie de sexe ?
Resituées dans le cadre de notre réflexion autour du consentement, les positions adverses pourrait se décrire ainsi :
Il y a le camp du consentement exprès dont ferait partie Caroline de Haas, et le camp du consentement tacite dont ferait partie Catherine Deneuve.
Cette distinction de deux modalités de consentement, John Locke l’a faite lui-même dans le champ politique.
Sans doute conscient des critiques susceptibles d’être adressées à son concept de consentement, il éprouve le besoin de préciser la nature du consentement accordé par les membres de la société civile :
« Chacun étant naturellement libre, ainsi qu’il a été montré, et rien n’étant capable de le mettre sous la sujétion d’aucun autre pouvoir sur la terre, que son propre consentement, il faut considérer en quoi consiste cette déclaration suffisante du consentement d’un homme, pour le rendre sujet aux lois de quelque Gouvernement.
(…)
Si ce qu’il possède est une terre, qui lui appartienne et à ses héritiers, ou une maison où il n’ait à loger qu’une semaine, ou s’il voyage simplement et librement dans les grands chemins; en un mot, s’il est sur le territoire d’un gouvernement, il doit être regardé comme ayant donné son consentement tacite, et comme s’étant soumis aux lois de ce gouvernement-là4. »
Autrement dit, pour peu que vous vous trouviez ici ou là, vous avez consenti, du moins in petto, aux lois du gouvernement du territoire considéré.
Il ne s’agit plus de l’élaboration conjointe, volontaire et enthousiaste du contrat social par des individus libres et valeureux; mais d’une acceptation contrainte de règles pré-définies auxquelles on se conformera par peur de la rétorsion.
Le consentement envisagé de cette façon n’est pas celui d’un sujet libre, volontaire, à même de choisir entre 2 solutions (signer ou pas le contrat social), n’ayant pas à craindre de rétorsion en cas de refus.
Que reste-t-il alors du consentement dans le champ politique ? N’est-il plus qu’un terme vide de sens ?
Extension du domaine du consentement
Une grande partie des avancées de la science économique du XXème siècle a consisté à lever une à une les hypothèses du cadre réflexif de la pensée néoclassique élaboré durant la 2nde moitié du XIXème siècle ; 4 hypothèses que l’on désigne sous le vocable de concurrence pure et parfaite :
L’atomicité des acteurs, l’homogénéité des biens, la fluidité des marchés et facteurs de production et enfin la transparence ou information parfaite.
La levée de cette dernière hypothèse d’information parfaite et de l’étude de ses conséquences qui permit à Georges Akerlof et Joseph Stiglitz de rendre compte de la nécessité d’institutions publiques fortes que la théorie néoclassique ne permet pas d’envisager, telle que l’assurance santé universelle obligatoire pour le secteur de la santé.
Je crois que la pensée politique doit poursuivre une démarche identique ; la théorie du contrat social laisse accroire à un certain consentement, à une adhésion de l’individu à l’organisation du pouvoir politique telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Levons cette hypothèse du contrat librement consenti, signé par chacun d’entre nous.
Le courant féministe contemporain fait de l’explicitation du consentement une exigence. Il n’y a pas de consentement tacite. Ce n’est pas parce que je te sourie que je veux coucher avec toi. Ce n’est pas parce que je me présente à un rendez-vous professionnel dans ta chambre d’hôtel que je vais m’offrir à toi.
Ce n’est pas parce que je suis une femme, que je consens à coucher avec le premier homme qui se présente.
Il n’y a de consentement qu’explicitement exprimé, qu’expressément affirmé5.
Étendons l’exigence féministe au champ politique.
De fait, posons-nous un instant pour nous interroger nous-même :
A quel moment consentons-nous véritablement à l’impôt ? Prenons des exemples très contemporains : à quel moment ai-je consenti à la suppression de l’impôt sur la fortune ? A quel moment ai-je validé la fin de la progressivité de l’impôt sur le revenu des capitaux ?
Ou encore, à quel moment ai-je consenti à Gérard Larcher le droit de s’exprimer en mon nom à propos de l’introduction du droit à l’IVG dans la Constitution ? A quel moment l’ai-je autorisé à s’augmenter son indemnité de 700€ quand il m’octroie seulement 20€ en tant qu’agent du service public ?
Quand ?

Quand ai-je accepté l’organisation des pouvoirs (ou plutôt concentration des pouvoirs) qu’on appelle Vème République ? Nombre de Français.es et moi-même n’avons pas voté au référendum de 1958. Pourquoi n’est-elle pas régulièrement soumise à l’assentiment des Françaises et des Français ?
Bref, on obéit à des lois qu’on n’a pas écrite, à des chefs dont on ne veut plus.
Jean-Jacques Rousseau le dit bien mieux que moi :
« Toute loi que le peuple en personne nʼa pas ratifiée est nulle; ce nʼest point une loi. Le peuple Anglais pense être libre; il se trompe fort, il ne lʼest que durant lʼélection des membres du Parlement; si-tôt quʼils sont élus, il est esclave, il nʼest rien6. »
Au lieu d’accompagner cette revendication de respect du consentement, le pouvoir se raidit, et obtient l’obéissance par l’interdiction, la répression des mouvements protestataires populaires et écologistes. Et il ne s’embarrasse guère de respecter les rares contre-pouvoirs que devraient constituer le Parlement et la presse.
Et lorsqu’il a pu prendre des initiatives heureuses, telle que la convention citoyenne pour le climat, elles ont été lamentablement bâclées par un pouvoir sidéré par l’inventivité et la technicité des citoyens tirés au sort, susceptible de faire pâlir leur étoile.
Exercer le pouvoir plutôt qu’y consentir
Sans doute ne faut-il pas courber l’échine devant les menaces d’un pouvoir qui compte bien continuer à se passer de notre consentement.
Mais en attendant que je m’arme de ce courage qui me fait défaut, je vais pousser plus loin le raisonnement en guise de conclusion.
Consentir ne suffit pas. Il nous faut agir.
Se muer en objet – même consentant – du pouvoir à sujet du pouvoir.
Le féminisme contemporain ne dit d’ailleurs pas autre chose7 :
« on est consentante quand on répond oui à une demande ; ce n’est donc pas spontané, c’est accepter de suivre ce que veut quelqu’un.e d’autre.Dans notre société, on a tendance à attendre que ce soient les hommes qui proposent et les femmes qui consentent à leurs propositions, en particulier dans le domaine affectif et sexuel. Le problème, c’est qu’un acte ou une relation sexuelle ne doit pas être seulement consentie, mais désirée. »
Une démocratie vivante requiert des citoyennes et citoyens actifs. Non pas simplement militants.es, mais des citoyens dotés.es du pouvoir.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Hé bien d’abord, on peut commencer par changer d’attitude : ne plus consentir, ne plus sur obéir8, c’est à dire ne plus devancer les désirs du maître, ne plus flagorner, ne plus verser dans l’obséquiosité.
On peut à l’inverse traîner des pieds, faire la grève du zèle. Ce n’est peut-être pas grand-chose, mais on préserve quelque peu sa dignité, et ma foi, c’est déjà pas mal.
On peut aussi entrer en lutte :
- dans la rue, à l’instar des Gilets Jaunes9transformant une colère populaire en mobilisation insurrectionnelle pour revendiquer un accès direct au pouvoir par le biais notamment du référendum d’initiative citoyenne.
- dans les mouvements associatifs, politiques citoyens, tel qu’A nous la démocratie bien sûr, agissant par une voie plus institutionnalisée pour une démocratie plus horizontale.
Le but étant de faire à terme de chacun d’entre nous des sujets politiques, des sujets agissants, dans un pays qui encouragerait, favoriserait la participation ; on ne fera pas des citoyens par la menace du bâton mais plutôt en pratiquant la démocratie dès le plus jeune âge à l’école, dans les associations sportives, au SNU ( qui, au passage, pourrait constituer un cadre idéal de formation du citoyen actif), dans un cadre où le maître reconnaît l’égale dignité de l’élève et lui transmet les clefs de l’autonomie citoyenne, celle où l’obéissance à la loi que l’on s’est prescrite est liberté10.
De la même manière que les féministes affirment que l’émancipation des femmes passe non seulement par le consentement mais aussi par une affirmation de son désir, par une affirmation de soi, les démocrates affirment que la réappropriation de notre destin collectif passe par la réappropriation du pouvoir par la base.
Article rédigé par Emmanuel BONIN, membre d’A nous la démocratie !
1Locke, Traité du gouvernement civil, §95, Flammarion, 1992
2Locke, Traité du gouvernement civil, §97
3Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Le triomphe de l’élection : consentir ua pouvoir plutôt qu’y accéder, pp. 108-124
4Locke, Traité du gouvernement civil, §119
5Express consent dit John Locke en version originale
6Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, Chapitre XV
7 Collectif Osez le féminisme, petit guide pour une sexualité féministe et épanouie, First Editions 2021, pp 31-32
8 Frédéric Gros, Désobéir, chapitre 3 la Sur obéissance, Flammarion 2019, Champs.
9 Matthieu Niango, Les gilets jaunes dans l’histoire, Efficacité de la mobilisation : violence et recul de l’adversaire pp 74-75, Kimé éditions, 2020
10JJ Rousseau, Du contrat social, Livre 1 chapitre 8
